Le 8 mars 2021, le Premier ministre a confié à René Ricol une mission sur l’articulation entre le régime de garantie des salaires (AGS) et les auxiliaires de justice (administrateurs et mandataires judiciaires) dans le cadre des procédures collectives. Les conclusions de ce rapport, attendues pour la mi-avril, viennent d’être dévoilées.
Une mission s’inscrivant dans contexte délicat entre l’AGS et les administrateurs et mandataires judiciaires
Les procédures collectives font intervenir sous l’autorité du Tribunal de commerce plusieurs acteurs, outre l’entreprise : les administrateurs et mandataires judiciaires, les autres praticiens de la procédure, les créanciers de l’entreprise, qu’ils soient publics (Trésor public, URSSAF) ou privés. Le régime de garantie des salaires (AGS) est le principal créancier institutionnel privé.
Au cours de ces derniers mois, des incompréhensions se sont manifestées entre l’AGS et les professionnels des procédures collectives. Des désaccords ont été exprimés dans le cadre de la consultation publique sur la transposition à venir de la directive européenne « restructuration et insolvabilité » ouverte par le Gouvernement, notamment à propos de l’ordre des privilèges des créanciers. En effet, dans le cadre du projet d’ordonnance souhaité par le gouvernement, il était question de consacrer une pratique concernant le paiement par priorité des frais de justice et notamment du liquidateur dans le contexte d’une procédure de liquidation judiciaire. À cet égard, l’AGS considère que l’avant-projet rétrograde le superprivilège des salaires au profit des frais de justice et estime que le classement proposé par la réforme la rétrograderait de la 3ème à la 6ème place. Concernant la position des administrateurs et mandataires judiciaires, ces derniers justifient leur priorité en arguant qu’ils ne sont pas des créanciers de la procédure qui viendraient en concurrence avec les autres créanciers, mais qu’ils sont organes de la procédure et que sans leur intervention, aucune réalisation des actifs, ni répartition des paiements ne seraient possibles.
Ce projet d’ordonnance qui émeut s’inscrit dans un contexte délicat entre l’AGS et les administrateurs et mandataires judiciaires. Le Gouvernement ne peut accepter qu’une situation de tension entre les acteurs institutionnels des procédures collectives, qui porte préjudice à l’efficacité des procédures collectives, à la prise en charge diligente des salaires, à la préservation des actifs de l’entreprise et à l’emploi, puisse perdurer dans les prochains mois. Le nombre de procédures collectives, en forte baisse en 2020, devrait mécaniquement augmenter en 2021. La transposition de la directive devant être effectuée avant juillet 2021, le temps pressait.
Les objectifs et le déroulement de la mission
Dans ce contexte, René Ricol a donc été chargé de partager un diagnostic objectif avec toutes les parties prenantes concernées ainsi que d’émettre des propositions d’ordre législatif, règlementaire ou organisationnel dans le but de garantir un fonctionnement efficace des procédures collectives tout en maintenant le haut niveau de protection des salariés existant actuellement.
Son équipe était composée de Nadine Stern, Cécile Viton, Xavier Clemence et Philippe Steing. Pour mener à bien cette mission, 15 personnes ont été auditionnées par l’équipe et une quarantaine d’entretiens ont été effectués.
Le cœur du problème lié à l’avant-projet d’ordonnance
L’avant-projet propose de manière explicite un ordre de désintéressement des créanciers. Ces nouvelles dispositions entraîneront, si elles sont définitivement retenues, une modification coordonnée des articles L. 622-17 et L. 641-13 du Code de commerce. Dès lors, le rapport en conclut que l’AGS figurerait dorénavant en 6ème position. En conséquence de quoi l’AGS est fondée à estimer que son rang dans la récupération est rétrogradé dans l’avant-projet de texte.
Néanmoins, le déclassement de l’AGS doit être relativisé dans la mesure où sa récupération intervient, en pratique, après le paiement des frais de justice réglés à échéance soit le paiement des émoluments et honoraires des administrateurs et mandataires judiciaires sauf dossiers impécunieux.
Les solutions préconisées par le rapport de la mission
Une solution consensuelle, de court terme, pourrait se trouver autour de 9 axes concernant (i) la liquidation judiciaire (modifier le projet pour le remettre à droit constant concernant les frais de procédure et reprendre en tête de l’article L.643-8 du Code de commerce « sans préjudice également des dispositions de l’article L. 641-13 » par exemple) ; (ii) les dossiers litigieux en cours ou à venir (pour les dossiers en cours, les acteurs doivent se soumettre à une médiation, soit convenue entre eux, soit sous l’autorité des cours d’appel) ; (iii) les procédures d’une manière générale (veiller pour tous les acteurs à la transparence totale des coûts ainsi qu’à une maitrise de ceux-ci devenue impérative) et (iv) d’autres points d’attention (l’État doit montrer une très grande vigilance en exigeant, comme condition à son intervention, la transparence sur les frais de procédure).
La solution de court terme envisagée ne fait sens qu’à la condition que s’ouvre une réflexion de place, plus globale qui devra permettre une clarification des textes et une modernisation encadrée des pratiques, tant pour les administrateurs et mandataires judiciaires que pour tous les intervenants aux différentes procédures.
À ce titre, 7 pistes doivent être explorées :
- Mettre à plat le coût complet des procédures
- Sensibiliser les tribunaux de commerce sur les cas dans lesquels la situation de l’entreprise, dans les faits, relève plus d’un redressement judiciaire que d’une conciliation et prévoir qu’en cas d’ouverture d’une procédure collective dans un délai de 18 mois après la clôture d’un mandat ad’hoc ou d’une conciliation, le tribunal de commerce, après avis du parquet, puisse demander le reversement d’une partie des honoraires perçus par tous les intervenants dans une limite à fixer, mais qui ne saurait être inférieure à 50%.
- Repenser le barème des émoluments des AJMJ en relevant leurs tranches.
- Inciter tous les juges concernés des Tribunaux de commerce et des magistrats de la Cour d’appel chargés d’arrêter les honoraires des AJMJ hors barème à suivre la formation continue dispensée par l’ENM relative à la taxation.
- Identifier leur charge de travail et imaginer les conditions dans lesquelles ils pourraient être aidés par des collaborateurs assistants
- Simplifier les multiples contrôles dont sont l’objet les AJMJ, hors évidement les contrôles liés au bon déroulement de la procédure, en mettant en place un organe de contrôle indépendant de leur activité (sur le modèle H3C)
- Repenser les conditions d’intervention de l’AGS et ses droits, l’AGS ne pouvant être considérée comme un créancier normal
Ce rapport propose une série de recommandations, en vue d’ajuster l’avant-projet d’ordonnance mis en consultation publique, portant transposition de la directive européenne « restructuration et insolvabilité » et réforme du droit des sûretés et d’établir entre les acteurs de nouvelles pratiques de place, fondées sur une logique de transparence et de maîtrise des frais de procédure d’une part et de coopération entre les acteurs d’autre part.
Le Gouvernement finalisera l’avant-projet d’ordonnance en vue de sa promulgation d’ici cet été sur la base des recommandations du rapport et engagera des travaux sur les pistes de réforme proposées à plus moyen terme. Il appelle également les parties prenantes des procédures collectives à mettre en œuvre sans délai les bonnes pratiques de place proposées par René Ricol.
Pour consulter l’intégralité du rapport : Lien
Par Caroline de Bonville