Sur la mythique course de la Route du Rhum, le navigateur Brieuc Maisonneuve a chaviré de façon assez violente après s’être dérouté pour porter secours à une autre navigatrice. Secouru par un autre coureur, Jean-Pierre Dick dont il a rejoint le bateau à la nage, il a été contraint d’abandonner son trimaran en pleine mer. Depuis, il met tout en œuvre pour localiser et récupérer son compagnon de route et outil de travail. Mais une telle opération est extrêmement couteuse et Brieuc Maisonneuve a aujourd’hui besoin d’aide pour la mener à bout. Mayday est parti à sa rencontre.
Mayday : Il y a quelques années vous décidez de changer de vie pour vivre de votre passion. Pouvez-vous nous raconter ?
Brieuc Maisonneuve : En effet, j’ai dirigé pendant 15 ans un groupe industriel qui compte parmi les premiers acteurs économiques de la Manche. Le Brexit nous a malheureusement beaucoup affaibli et j’ai alors connu le pilotage d’une entreprise dans la tempête.
Il a fallu rassurer les clients, tenir les fournisseurs, négocier avec les banques tout en prenant soin de mes équipes. Cette tempête m’a amené à m’entourer de spécialistes du restructuring afin de maintenir le cap et l’équipage.
J’ai eu recours au mandat ad hoc puis à la conciliation. Malheureusement, les mesures mises en place lors de ces procédures n’ont pas permis de maintenir le bateau à flots. J’ai donc pris la décision de mettre en place un pré pack cession qui a débouché sur la reprise de mon entreprise par un acteur économique solide. Au terme de cette aventure, l’emploi et l’activité ont été intégralement sauvegardés ce qui pour moi restait l’essentiel.
Néanmoins, ces péripéties m’ont conduit à revoir mes attentes et aspirations réelles et j’ai décidé de quitter ce navire pour en rejoindre un nouveau. J’ai créé en 2019 Addictive Sailing, une entreprise de charter qui exploite un catamaran de course pour faire partager ma passion pour la mer et la course au large. C’est avec ce même bateau que j’ai pris le départ il y a quelques semaines de la Route du Rhum.
Mayday : Lancé dans cette course mythique, le 13 novembre dernier, tout bascule. Après vous être dérouté pour aller porter secours à une autre coureuse vous faites face à une mer déchainée et vous chavirez.
B.C. : En effet, Amélie Grassy avait déclenché un « mayday » et je n’étais pas très loin d’elle, je l’ai donc évidemment rejoint et ai tourné pas mal de temps ce qui nécessairement demande beaucoup d’énergie. Je suis reparti ensuite voilure bien réduite, il n’y avait plus de vent. Normalement ce sont des allures où on ne chavire pas et j’ai commencé une première partie de nuit comme ça. Mais très vite j’ai dû faire face à un front très hostile et le bateau s’est pris une déferlante qui m’a d’ailleurs propulsé de l’autre côté du cockpit. Je me suis donc dit qu’il fallait calmer le jeu, j’ai choqué les écoutes et j’ai retravaillé la météo avec mes équipes.
Il fallait que je replombe mes moteurs que j’avais déplombés pour rejoindre Amélie et que j’en envoie une photo à la direction de course. Je leur écris que je le ferai une fois le jour levé et quelques secondes après ce message je sens le bateau partir très vite en survitesse, puis je comprends que de l’eau sous pression passe à travers les hublots, le système de largage automatique se met en route. J’essaye alors de sortir pour choquer et là le bateau se retourne. Instantanément je me retrouve propulsé sur le toit du bateau avec tout le matériel qui me tombe dessus et une eau froide qui me prend.
Mayday : Il fait nuit noir à ce moment-là, comment réagissez-vous ?
B.C. : Les premières 15 secondes je me suis sonné et je me dis que c’est fini. Il y a une petite tétanie rien qu’avec l’eau froide qui me saisit et puis ce petit moment de panique passé il y a une autre partie du cerveau qui prend le dessus et qui te dit qu’il faut survivre.
Je me suis dit qu’il fallait que je trouve le maximum d’objets utiles pour la suite : j’ai trouvé une lampe torche qui flottait, une VHF portable. J’ai mis un temps fou à trouver mon équipement de sécurité. Je savais qu’il était dans la coque bâbord mais mes repères étaient complètement chamboulés avec le bateau à l’envers. Une fois que je les ai trouvé j’ai mis au moins 15 minutes à enfiler ma combinaison de survie avec une eau qui continuait à monter. Il faisait toujours nuit noir à ce moment-là donc j’ai voulu attendre que le jour se lève pour lancer des balises mais je me suis en réalité aperçu que ma balise de détresse émettait déjà de façon automatique donc en fait les secours ont dû se déclencher très vite après mon chavirage. Je suis sorti une première fois sur le trampoline du bateau et je me suis rendu compte que c’était intenable, il faisait beaucoup trop froid et la mer était trop agitée.
En rentrant à l’intérieur j’ai essayé d’organiser ma survie en hauteur puis après avoir attendu un peu j’ai lancé un « mayday ». Un cargo philippin m’a répondu, je ne comprenais pas vraiment ce qu’il me disait mais on a fini par réussir à se comprendre un peu.
Mayday : Et là, soulagement vous apercevez Jean-Pierre Dick à côté du cargo et vous reprenez espoir ?
En effet, j’aperçois un bateau à côté du cargo et je comprends des communications VHS que c’est Jean-Pierre [Dick] qui est là. Je me dis en effet que ça sent meilleur ! Après plusieurs minutes, Jean-Pierre parvient à se rapprocher de mon bateau et me dit qu’il a mis un bout de 10 mètres à l’arrière du bateau et qu’il faut que je plonge et que je l’attrape. Je me dis d’abord que ce n’est pas une bonne idée, que je ne vais pas quitter un bateau insubmersible pour plonger dans une mer déchainée ! Et puis je vois une petite mascotte qu’on m’avait offert au début de la course qui s’échappe du bateau par un hublot ! C’était le signe qui me fallait pour me dire que je devais y aller. Je saute donc dans l’eau, je nage comme un fou et je parviens à attraper le bout de Jean-Pierre. Après plusieurs tentatives j’ai pu monter sur son bateau puis être déposé aux Açores, énorme soulagement….
Mayday : Votre bateau est toujours en mer aujourd’hui et une cagnotte a été lancée pour vous aider à la récupérer. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette opération ?
B.C. : En effet, pour rejoindre le bateau de Jean-Pierre j’ai dû laissé le mien en mer. Or, outre être mon compagnon de course, ce bateau est également mon outil de travail et mon patrimoine, c’est donc un réel enjeu que je puisse le récupérer et ensuite dans un second temps le remettre en état.
Il y a une balise dessus mais qui n’émet que quelques jours donc elle s’est aujourd’hui éteinte. Nous faisons donc tous les jours des calculs en fonction des vagues, des vents, du courants pour essayer d’estimer sa position. On a également été mis en lien avec Airbus qui a pris une photo il y a quelques jours qui pourrait être une image du bateau.
La prochaine étape est donc, dès que nous avons une nouvelle position, soit via Airbus, soit via un bateau marchand de le repérer et de lancer une opération pour le récupérer. Mais c’est extrêmement couteux.
Pour aider Brieuc Maisonneuve à récupérer son bateau et le soutenir c’est par ici.
Par Gwenaëlle de Girval