Dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, l’article 26 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 prévoit une expérimentation des Tribunaux des Activités Economiques (TAE) pendant 4 ans à compter du 1er janvier 2025. Des tribunaux de commerce vont être renommés TAE et se voir octroyer des compétences étendues.
La compétence des TAE
L’objet de ce projet est de réunir toutes les compétences en matière d’insolvabilité dans une juridiction unique.
S’il devient TAE, le tribunal de commerce [1] verra sa compétence en matière de procédures d’alerte, préventives (conciliation, mandat ad hoc) et collectives, étendue à tous les justiciables relevant aujourd’hui du tribunal judiciaire. Soit les agriculteurs, associations, SCI, mutuelles d’assurances, professions libérales, à l’exclusion toutefois des professions libérales règlementées visées par l’article L. 722-6-1 al.2 du code de commerce (avocats, notaires, commissaires de justice, greffiers des tribunaux de commerce, administrateurs et mandataires judiciaires).
Les TAE verront également leurs compétences étendues aux baux commerciaux dès lors que les actions et contestations en cette matière seront nées d’une procédure collective ou présenteront des liens de connexité suffisants avec celle-ci.
Jacques Fineschi, ancien Président du tribunal de commerce de Nanterre, souligne que :
« Les juges des tribunaux de commerce ont aujourd’hui compétence pour environ 88 % de l’ensemble des procédures préventives et collectives. Cela leur confère une expérience et une pratique fortes, outre le fait que leur parcours professionnel les a souvent particulièrement bien préparé à traiter des difficultés des entreprises.
Aussi, faire bénéficier de l’expérience des juges consulaires, la plus grande partie des 12% de procédures qui relèvent aujourd’hui du tribunal judiciaire, apparait comme une rationalisation souhaitable, dont on peut seulement regretter qu’elle n’ait pas été véritablement étendue à la totalité des débiteurs comme le proposait le Sénat ».
Il précise également que « pour les juges consulaires, cette extension n’entraine pas un surplus de travail insupportable dans la mesure où, selon les TAE, le nombre de dossiers va augmenter de 10 à 15%. En revanche, cela va les amener à compléter leur formation s’agissant notamment des procédures concernant le monde agricole. A cet égard, la présence dans les formations de jugement d’assesseurs issus du monde agricole apparait bienvenue. »
Les tribunaux de commerce visés par l’expérimentation
Par un arrêté du garde des Sceaux du 5 juillet 2024, douze tribunaux de commerce ont été désignés en qualité de TAE : Marseille, Le Mans, Limoges, Lyon, Nancy, Avignon, Auxerre, Paris, Saint-Brieuc, Le Havre, Nanterre et Versailles.
Ce choix résulte d’une volonté de répartition selon la taille des juridictions, volonté respectée puisque quatre de ces tribunaux sont des tribunaux de commerce spécialisés (TCS), sept sont de taille intermédiaire et un est de plus petite taille.
Les spécificités des TAE
Des assesseurs issus du monde agricole
Afin de représenter les exploitants agricoles, la loi du 20 novembre 2023 a également prévu la nomination par le ministre de la Justice, de juges issus du monde agricole.
Ceux-ci siégeront comme assesseurs et se verront confier une mission d’assistance du président de l’audience. Ils pourront être nommés en qualité de juge-commissaire, à condition d’exercer depuis plus de deux ans, sauf dérogation par décision du premier président de la cour d’appel.
Une contribution pour la justice économique
L’article 27 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 introduit chez les TAE une contribution pour la justice économique dans un cadre expérimental, avec des dérogations aux articles 1089 A et 1089 B du code général des impôts.
Jusqu’à maintenant, le coût de l’accès à la justice commerciale se limitait à des frais de procédure modestes, inclus dans les dépens, sans qu’une contribution fixe ne soit demandée au moment de l’introduction de l’instance.
Désormais, à partir du 1er janvier 2025, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la partie demanderesse devra verser une contribution pour la justice économique, d’un montant maximal de 5 % du total des demandes financières formulées et plafonné à 100 000 €.
Des exceptions au versement de cette contribution sont toutefois prévues par la loi pour les demandeurs à l’ouverture d’une procédure préventive ou collective, pour l’Etat et les collectivités territoriales, et pour les personnes physiques et morales de droit privé employant moins de 250 salariés.
La loi met également en place, dans ce cadre, des mesures incitatives pour encourager le règlement amiable des conflits. En effet, la loi précise qu’en « cas de recours à un mode amiable de règlement du différend emportant extinction de l’instance et de l’action ou en cas de désistement, la contribution est remboursée ».
Les effets de la contribution pour la justice économique seront évalués dans le cadre de l’expérimentation des TAE, avant une éventuelle généralisation. Seront notamment analysés l’évolution de la part d’activité contentieuse soumise à la contribution et, l’impact de cette contribution sur le recours à des modes alternatifs de règlement des litiges (médiation, conciliation).
« S’agissant de cette contribution pour la justice économique, cela peut poser problème d’avoir des tribunaux qui la pratiquent (TAE) et d’autres qui ne la pratiquent pas. Un risque de « forum shopping » n’est pas exclu, même s’il sera nécessairement limité dans le temps de l’expérimentation. » J. Fineschi.
Une dispense de représentation pour certains litiges
Une autre spécificité des TAE tient à la dispense de représentation ou d’assistance par un avocat lorsque la demande porte sur un montant inférieur ou égal à 10 000 € ou lorsque cette demande a pour origine l’exécution d’une obligation dont le montant n’excède pas 10 000€.
Cette dispense concerne les procédures préventives et collectives du livre VI du code de commerce, les litiges relatifs à la tenue du RCS et la procédure de règlement amiable agricole du code rural et de la pêche maritime.
La conduite et l’évaluation de l’expérimentation ont été confiées à deux comités composés de diverses personnalités issues du monde judiciaire et du monde agricole. Le comité d’évaluation comprendra par ailleurs deux députés et deux sénateurs, à parité entre les femmes et les hommes, dont au moins un député et un sénateur appartenant à un groupe d’opposition, désignés respectivement par le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat.
Pour conclure, Jacques Fineschi souligne que, selon lui, « cette expérimentation est une excellente idée, en ce qu’elle permet de rationaliser et d’homogénéiser le traitement des procédures préventives et collectives de (presque) tous les justiciables, en ce qu’elle introduit une contribution pour la justice économique loin d’être choquante et même très modeste au regard des pratiques à l’étranger, en ce qu’elle respecte enfin le sage principe d’expérimenter avant de déployer. Il reste à espérer que le produit de la contribution bénéficiera au moins en partie aux TAE et mettra fin au « mécénat » actuel des juges consulaires qui, bien que bénévoles, financent personnellement leurs frais de déplacement et de fonctionnement. Il reste aussi à espérer que les outils et la procédure de suivi de l’expérimentation seront simples et centrés sur l’essentiel ».
Quant à la durée de l’expérimentation sur 4 ans, Jacques Fineschi indique que cela peut paraitre long. « On devrait commencer à avoir de bonnes idées au bout de deux ou trois ans et donc ne pas hésiter, si possible, à avancer le calendrier, dans le cas où le succès de l’expérimentation serait démontré plus tôt ».
Par Mayday
[1] Les tribunaux de commerce ont en principe compétence exclusive pour connaître des litiges relatifs aux commerçant, sociétés commerciales et particuliers concernés. Art L.721-3 du Code de Commerce.