Alors que la France vit une crise économique majeure, Mayday a pu échanger avec Agnès Pannier-Runacher, Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Economie et des Finances pendant la période de confinement et actuelle Ministre déléguée à l’industrie. L’occasion de l’interroger sur les mesures mises en oeuvre pendant la période de confinement, les réformes à venir et sa feuille de route dans le cadre du nouveau gouvernement Castex.
Mayday : La crise sanitaire et les mesures de confinement qui en découlent ont frappé l’économie. La France a été l’un des pays les plus protecteurs et généreux, notamment à travers la mise en place du chômage partiel qui a sauvé de nombreuses entreprises. Concernant le PGE, la mesure a fait l’objet de quelques critiques. Notamment, l’absence de rémunération des banques aurait freiné l’octroi des prêts aux grandes entreprises. D’autres problématiques autour de la nature de la garantie et de son quantum ont également été soulevées. Pourriez-vous nous dire quel montant de PGE a été accordé et savez-vous quelles sont les typologies d’entreprises qui en ont bénéficiées et, à l’inverse, celles qui se sont vues refuser l’octroi de ce prêt ?
Agnès Pannier-Runacher : Merci de souligner l’intérêt du chômage partiel qui a effectivement sauvé des centaines de milliers d’emplois. Mais je crois que l’on peut porter la même appréciation sur les prêts garantis par l’Etat (PGE). Ils ont apporté à plus de 500 000 entreprises près de 110 milliards d’euros d’argent frais. Cet afflux de trésorerie a été essentiel dans beaucoup de situations pour passer le cap difficile du confinement.
La rémunération des banques et les quantums garantis sur les grandes entreprises ont été concertés avec les établissements bancaires. Et j’observe que toutes les grandes entreprises qui ont sollicité un PGE l’ont obtenu dans des délais compatibles avec chaque situation particulière, ce qui semble indiquer que le paramétrage était approprié. Notre enjeu est de nous assurer que toutes les entreprises, des TPE aux grandes entreprises, aient une réponse financière dès lors que leurs activités sont compétitives à moyen terme. Et nous savons combien il est plus aisé de trouver une oreille attentive pour un financement quand on est une grande entreprise que quand on est une TPE.
« Je souhaite donc que le ministère chargé de l’industrie soit le ministère des solutions, autour de plusieurs piliers »
S’agissant des bénéficiaires, je retiens plusieurs points saillants : les TPE et les PME représentent 75% des montants et les deux premiers secteurs bénéficiaires sont le commerce et l’industrie manufacturière, avec à eux deux plus de 44 milliards d’euros. Enfin, le taux de refus sur les demandes qui remplissent les critères juridiques est de moins de 3%.
Cela signifie que tout le monde, et notamment les banques, ont joué le jeu. Je salue aussi à cet égard la contribution des équipes de la Médiation du crédit qui ont souvent aidé les entreprises plus fragiles à obtenir les PGE en dépit d’un premier refus de la part de leur banque. Et je rappelle que l’Etat a mis en place des dispositifs complémentaires de quasi fonds propres pour les PME et TPE qui se verraient refuser un PGE.
Mayday : Le gouvernement a mis en place plusieurs plans de relance sectoriels. Pourriez-vous nous présenter l’architecture de ces mesures ? Par ailleurs, des mesures de soutien plus spécifiques aux entreprises en difficulté sont-elles prévues ?
Agnès Pannier-Runacher : Au-delà des mesures d’urgence que nous avons prises pour toutes les entreprises en mars et en avril afin d’amortir le choc de la crise sanitaire et du confinement, nous avons mis en place en mai des plans sectoriels pour soutenir des pans de l’économie particulièrement menacés.
Les plans automobiles et aéronautiques visent à soutenir la production, tant au niveau de la demande que de l’offre. Ainsi, nous avons renforcé les aides pour les Français qui changent de voiture pour des véhicules beaucoup moins polluants. Nous consacrons par ailleurs 1,5 milliard d’euros au long terme et à la R&D pour décarboner ces modes de transports dans les 15 ans qui viennent. Enfin, ces deux plans protègent les salariés et leurs compétences, que ce soit grâce à des dispositifs de formation et de soutien à l’apprentissage ou à des solutions de prêt de main d’œuvre et d’activité partielle de longue durée.
« Nous devons en effet nous attendre à une forte aggravation de ces indicateurs d’ici la fin de l’année 2020 »
S’agissant de la tech, le plan de soutien public conjoncturel mobilise 1,2 Md€ pour soutenir les startups à chaque stade du développement.
Le plan en faveur du commerce de proximité, de l’artisanat et des indépendants, que nous avons présenté avec Bruno Le Maire, va mobiliser fin juillet plus de 900 millions d’euros supplémentaires pour soutenir leur trésorerie. Il prévoit également un accompagnement renforcé pour les entreprises qui souhaitent engager ou accélérer leur transition numérique. Enfin, il vise à redynamiser le commerce de proximité grâce à des foncières spécialisées, dont l’objet est de racheter et rénover des surfaces commerciales qui seront ensuite remises en location auprès de petits commerçants et artisans à des conditions favorables.
Pour soutenir le secteur du tourisme, le Gouvernement a annoncé dès le mois de mai 2020 un plan de 18 milliards d’euros avec des mesures de relance, une exonération des cotisations sociales et un volet d’investissements de 3 milliards d’euros pour accompagner la reprise et la transformation du secteur.
Enfin, sur les entreprises les plus fragiles et au-delà des dispositifs à notre disposition, le droit permet de trouver des solutions. C’est toute la mission des Commissaires au redressement productif en Régions, et de la Délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises basée à Bercy. Avec un objectif qui sera d’approcher au maximum nos résultats d’avant crise : sauvegarder 90% des entreprises et 75% des emplois menacés. Cela sera difficile, il faut être lucide, mais nous devons mobiliser tous les moyens à notre disposition pour y parvenir.
Mayday : Les observateurs craignaient un effondrement de l’économie. A ce jour, le nombre de faillites est relativement stable. Il est probable que les choses puissent s’aggraver d’ici fin 2020. A quel scenario les professionnels du retournement doivent-ils, selon vous, se préparer ?
Agnès Pannier-Runacher : Nous observons, à ce stade, une nette diminution des ouvertures de procédures collectives depuis le 15 mars dernier par rapport à l’année précédente (entre 250 et 500 ouvertures par semaines contre près de 1000 par semaine en année normale). Ce chiffre relativement bas est trompeur, car il est principalement dû aux mesures d’urgence que nous avons prises dès le début de la crise pour éviter un choc économique brutal et qui aurait été fatal à notre économie.
Nous devons en effet nous attendre à une forte aggravation de ces indicateurs d’ici la fin de l’année 2020. Nous sommes organisés pour accompagner les entreprises en difficulté. Notre objectif est de trouver des solutions au maximum d’entreprises viables à moyen terme et d’accompagner les restructurations incontournables par des soutiens aux salariés facilitant leur rebond professionnel.
Mayday : La directive européenne insolvabilité doit être transposée dans les mois qui viennent. Elle vise, nous dit-on, à rééquilibrer les droits entre créanciers et débiteurs, mais reste silencieuse sur le point de savoir ce que l’on fait si les parties ne sont pas d’accord ? Que fait-on si le plan n’est pas validé par les comités de créanciers ? L’un des débats qui n’est pas tranché aujourd’hui est de savoir si dans ce cas-là on bascule de la nouvelle sauvegarde à une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou si on laisse au tribunal la faculté d’imposer un plan ou d’étaler le passif, même si les créanciers ne sont pas d’accord ? Vers quelle voie faudrait-il tendre selon vous ?
Agnès Pannier-Runacher : Il appartient à chaque Etat membre de l’Union européenne de transposer la directive insolvabilité en cohérence avec l’esprit de son droit national. Effectivement, la directive va rééquilibrer les droits entre créanciers et débiteurs. Mais le réel changement est surtout apporté par le mécanisme d’application forcée interclasse qui va permettre d’aligner au maximum l’intérêt des parties prenantes avec celui de la société, dans le but de préserver au maximum l’activité et l’emploi, au détriment de certains comportements d’obstruction nuisibles pour l’entreprise.
« Je souhaite donc que le ministère chargé de l’industrie soit le ministère des solutions, autour de plusieurs piliers »
On peut effectivement s’interroger quant à l’efficience et à la viabilité de ces plans imposés – envers et contre les créanciers – qui étalent un passif à très long terme sans régler les problèmes structurels de l’entreprise. Rappelons qu’une entreprise en sauvegarde ne doit pas être en état de cessation des paiements. Pour autant, rien n’a pour le moment été arrêté, les discussions interministérielles sont en cours et différentes options restent ouvertes à ce stade.
Mayday : La France compte environ 5000 ETI, contre 8000 en Italie ou aux UK et plus de 10.000 en Allemagne. Comment l’Etat pourrait jouer un rôle pour favoriser la croissance des PME ?
Agnès Pannier-Runacher : La croissance des entreprises, et notamment des ETI et PME, est une de nos priorités depuis le début du quinquennat. Plusieurs mesures structurantes ont été prises pour lever les freins à la croissance des entreprises : réforme du droit du travail et du dialogue social, réduction progressive du taux de l’impôt sur les sociétés, mesures de la loi PACTE en faveur du financement des entreprises, de la protection des innovations et de l’allègement de la réglementation liée aux franchissements de seuils.
Les entreprises de taille intermédiaire sont les champions de l’emploi et de nos territoires, nous devons mieux les accompagner. C’est pour cette raison que j’avais entamé un « Tour de France des ETI » avant le confinement. Je souhaite poursuivre cette démarche, de nouvelles étapes vont être programmées. La transformation des PME en ETI, leur verdissement et leur numérisation, tout cela fera partie du plan de relance sur lequel nous travaillons.
Mayday : Plus largement, vous faites partie du gouvernement Castex. Pourriez-vous nous indiquer votre feuille de route ?
Agnès Pannier-Runacher : L’industrie sera au cœur de la relance de notre économie. Mon action est mue par une conviction profonde : il n’y a pas de grande économie sans industrie. Je souhaite donc que le ministère chargé de l’industrie soit le ministère des solutions, autour de plusieurs piliers.
L’industrie c’est d’abord la solution pour décarboner nos activités et numériser notre économie : quand on parle de verdissement de la production, de recyclage, de robotique et de 5G, c’est dans l’industrie et avec l’industrie que ça se passe ! Nous allons accompagner les ETI et PME dans ces transitions nécessaires.
Notre industrie c’est aussi un outil de souveraineté, qui doit permettre de relocaliser dans nos régions des activités stratégiques et créatrices d’emplois pour nos concitoyens. Cela assurera notre indépendance tout en réduisant la fracture territoriale grâce à un tissu productif facteur de redistribution des richesses.
L’industrie c’est enfin un instrument dans la bataille de l’emploi et de la solidarité, car elle emploie des femmes et des hommes de tous les niveaux de formation, avec de vraies opportunités de formations et des perspectives d’évolution. L’industrie est également un enjeu majeur en termes d’emplois directs bien sûr, mais surtout indirects : pour chaque emploi créé dans l’industrie, ce sont 3 à 4 emplois indirects de créés.
Cette feuille de route pour l’industrie, elle est aussi européenne. Nous devons construire un écosystème industriel partagé avec nos partenaires européens. Nous l’avons lancé sur les batteries, nous devons le faire dans d’autres domaines comme l’hydrogène, la santé ou encore l’intelligence artificielle.
Propos recueillis par Cyprien de Girval