Si la protection du franchisé a longtemps été au cœur du droit de la franchise, la défaillance du franchiseur soulève des questions tout aussi cruciales. Que se passe-t-il lorsque le franchiseur, habituellement perçu comme la partie forte du contrat, se retrouve en difficulté et met en péril l’équilibre du réseau ? Quelles solutions permettent d’assurer la résilience du modèle et d’adapter les relations contractuelles ? Les procédures amiables, en particulier le mandat ad hoc et la conciliation, offrent-elles une issue efficace pour préserver l’équilibre du réseau ? C’est sur ces questions que reviennent ici, pour Mayday, Tristan Girard-Gaymard et Mathieu Couvé, respectivement associés des pôles Distribution et Entreprises en difficulté du cabinet Bruzzo Dubucq.
Le droit de la franchise s’est principalement édifié autour d’une appréhension asymétrique des vulnérabilités contractuelles, se focalisant prioritairement sur la protection du franchisé, traditionnellement considéré comme la partie faible du contrat. Cette orientation préférentielle trouve sa justification tant dans la structuration économique des réseaux – le franchisé constituant effectivement le premier rempart face aux aléas du marché – que dans l’asymétrie informationnelle consubstantielle à la relation franchiseur-franchisé.
Toutefois, cette conception unilatérale de la vulnérabilité contractuelle occulte la fragilité potentielle du franchiseur, dont la défaillance engendre des conséquences systémiques dépassant largement le cadre de sa propre entité économique. La récente tourmente dans laquelle a été pris Stéphane Plaza illustre avec une particulière acuité cette problématique : dès les premières révélations, les membres du réseau Stéphane Plaza ont assisté, impuissants, à une dégradation substantielle de l’image du franchiseur. Sa condamnation pour violences conjugales le 18 février 2025 a provoqué une onde de choc au sein du réseau, plaçant les franchisés dans une situation paradoxale où ils se trouvent contraints d’honorer leurs obligations contractuelles tout en subissant une dépréciation considérable de la valeur de la marque pour laquelle ils acquittent des redevances.
Si la procédure de sauvegarde offre des mécanismes permettant d’appréhender cette situation, notamment à travers la possibilité de résiliation judiciaire des contrats en cours prévue par l’article L. 622-13 du Code de commerce, les procédures préventives que sont le mandat ad hoc et la conciliation présentent des atouts considérables dans ce contexte spécifique. En s’extrayant du cadre nécessairement conflictuel de la procédure judiciaire, elles permettent d’élaborer des solutions négociées susceptibles de préserver tant l’intérêt des franchisés que la pérennité du réseau dans son ensemble.
L’objectif de la présente analyse consiste à examiner comment ces procédures amiables peuvent constituer des instruments privilégiés de restructuration des relations franchiseur-franchisés dans un contexte de crise réputationnelle, tout en tenant compte des spécificités jurisprudentielles et doctrinales relatives à la défaillance du franchiseur.
I. La défaillance du franchiseur : les solutions du droit des obligations
La défaillance du franchiseur revêt, en matière de franchise, une dimension sui generis qui ne saurait se réduire à l’insolvabilité financière. Elle comprend également l’incapacité, temporaire ou définitive, d’exécuter certaines prestations essentielles à la relation contractuelle, notamment l’approvisionnement, le soutien opérationnel ou encore le maintien d’une image de marque conforme aux attentes légitimes des franchisés.
Il est possible d’élaborer une typologie des défaillances du franchiseur distinguant la défaillance technique (incapacité d’exécution matérielle), la défaillance économique (insuffisance de ressources) et la défaillance réputationnelle (atteinte à l’image du réseau). Cette dernière catégorie, particulièrement pertinente dans le cas d’espèce, se caractérise par la dissociation entre la capacité matérielle d’exécution du contrat et la valeur économique réelle de cette exécution pour le franchisé.
Dans le cas particulier d’une défaillance réputationnelle, comme celle résultant de la condamnation pénale de Stéphane Plaza, se pose la question de sa qualification juridique précise. S’agit-il d’une inexécution contractuelle stricto sensu, d’une altération substantielle de l’économie du contrat, ou encore d’une forme particulière d’imprévision ?
La théorie de l’imprévision, codifiée à l’article 1195 du Code civil, pourrait a priori constituer un fondement pertinent, la condamnation pénale du franchiseur étant assurément un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat » rendant l’exécution « excessivement onéreuse » pour les franchisés.
Plus adaptée semble être la qualification d’inexécution contractuelle, fondée sur l’obligation implicite du franchiseur de maintenir la valeur économique des signes distinctifs mis à disposition. Cette obligation, bien que rarement expressément stipulée, constitue la cause subjective de l’engagement du franchisé et sa méconnaissance pourrait justifier le recours aux sanctions contractuelles classiques : exception d’inexécution, exécution forcée ou résolution.
Cependant, comme nous l’avons déjà montré dans ces colonnes, l’exception d’inexécution serait, dans ce contexte, d’une utilité limitée. En effet, la jurisprudence constante de la Cour de cassation contraint le cocontractant à remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture. Quant à la résolution unilatérale, son efficacité demeure incertaine face aux clauses pénales et résolutoires habituellement stipulées en faveur du franchiseur.
C’est précisément dans cette impasse juridique que les procédures amiables révèlent leur pertinence.
II. Le mandat ad hoc : instrument préférentiel d’aménagement provisoire des relations contractuelles
Le mandat ad hoc, institué par l’article L. 611-3 du Code de commerce, présente une plasticité procédurale remarquable qui en fait un instrument particulièrement adapté à la gestion des crises au sein des réseaux de franchise. Contrairement à la sauvegarde, qui impose un cadre procédural rigide, le mandat ad hoc se caractérise par une adaptation casuistique aux spécificités de chaque situation.
Dans le contexte des franchisés Stéphane Plaza, cette flexibilité permettrait la désignation d’un mandataire dont la mission serait spécifiquement orientée vers l’élaboration d’un protocole transitoire d’aménagement des obligations réciproques, reconnaissant la réalité de la dégradation de la valeur de la marque tout en préservant les éléments essentiels du réseau.
Cette réflexion, transposée au contexte spécifique de la crise réputationnelle, pourrait se traduire par l’autorisation temporaire accordée aux franchisés de développer une communication autonome visant à se distancier des faits reprochés au franchiseur, tout en conservant les éléments opérationnels du concept commercial.
La confidentialité inhérente au mandat ad hoc constitue un second atout déterminant. Garantie par l’article L. 611-15 du Code de commerce, elle permet d’éviter l’effet d’amplification médiatique qu’engendrerait inévitablement une procédure judiciaire publique. Cette discrétion s’avère cruciale dans un contexte où la préservation du capital confiance auprès des clients constitue un enjeu stratégique majeur.
Si la jurisprudence limite considérablement la possibilité pour les franchisés d’invoquer l’exception d’inexécution à l’encontre du franchiseur défaillant, le mandataire ad hoc dispose, quant à lui, d’une latitude substantielle pour proposer des aménagements contractuels provisoires. Plusieurs mécanismes juridiques pourraient être mobilisés dans ce cadre.
Premièrement, l’élaboration d’un avenant temporaire autorisant les franchisés à ne pas respecter certaines obligations contractuelles, notamment l’exclusivité d’enseigne, tout en maintenant les éléments essentiels du contrat.
Deuxièmement, la négociation d’une réduction temporaire des redevances, proportionnelle à la diminution constatée de la valeur économique de la marque. Cette solution, qui reconnaît explicitement la réalité économique de la défaillance réputationnelle, permettrait de maintenir l’équilibre économique global du contrat sans en bouleverser l’économie.
Si le mandat ad hoc est traditionnellement conçu dans une perspective individuelle, rien n’interdit, juridiquement, son déploiement coordonné au bénéfice d’un ensemble de franchisés confrontés à une problématique identique. Cette approche collective du mandat ad hoc peut présenter des avantages considérables.
La désignation d’un mandataire unique, idéalement spécialisé en droit de la distribution, permettrait l’élaboration d’une stratégie cohérente à l’échelle du réseau, évitant la fragmentation des solutions et la multiplication des procédures. Cette coordination faciliterait par ailleurs la mutualisation des ressources et renforcerait significativement le pouvoir de négociation des franchisés face au franchiseur.
Cette approche collective pourrait s’appuyer sur la constitution préalable d’une association de franchisés. Cette structure, dotée de la personnalité morale, constituerait un interlocuteur unique et légitime pour le mandataire ad hoc, facilitant la conduite des négociations et l’élaboration de solutions harmonisées.
III. La conciliation : cadre de formalisation et de sécurisation des accords négociés
La conciliation, régie par les articles L. 611-4 à L. 611-16 du Code de commerce, présente des caractéristiques qui la distinguent du mandat ad hoc tout en conservant les avantages fondamentaux des procédures préventives : confidentialité, souplesse et absence de dessaisissement du débiteur.
Son accès est conditionné à l’existence d’une « difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible ». Cette définition extensive inclut assurément la situation des franchisés du réseau Plaza, confrontés à une difficulté économique résultant de la dégradation substantielle de la valeur de la marque sous laquelle ils exercent leur activité.
La durée limitée de la procédure – quatre mois prorogeables d’un mois – crée une dynamique favorable à l’émergence rapide de solutions négociées, évitant l’enlisement préjudiciable aux intérêts économiques des franchisés. Cette contrainte temporelle constitue un levier efficace pour inciter l’ensemble des parties à adopter une posture constructive dans les négociations.
L’atout majeur de la conciliation, comparativement au mandat ad hoc, réside dans la possibilité d’obtenir l’homologation judiciaire de l’accord conclu, conformément à l’article L. 611-8 II du Code de commerce. Cette homologation confère à l’accord une force exécutoire et une sécurité juridique considérablement renforcées.
Dans le contexte étudié, l’homologation judiciaire protégerait efficacement les franchisés contre d’éventuelles tentatives ultérieures de remise en cause des concessions obtenues, notamment en cas de cession du réseau à un tiers.
La jurisprudence a progressivement précisé les conditions de cette homologation, établissant notamment que le tribunal doit vérifier que l’accord conclu est de nature à assurer la pérennité de l’activité de l’entreprise. Cette exigence légitime particulièrement le recours à la conciliation dans le contexte étudié, puisque la renégociation substantielle du contrat de franchise apparaît précisément comme condition sine qua non de la pérennité de l’activité des franchisés.
Si le mandat ad hoc permet principalement d’élaborer des solutions provisoires, la conciliation offre un cadre propice à une restructuration plus profonde et pérenne des relations contractuelles. L’accord de conciliation peut ainsi intégrer des modifications substantielles du contrat de franchise, notamment :
– La redéfinition des modalités d’utilisation de l’image personnelle du franchiseur, visant à réduire l’exposition des franchisés aux conséquences négatives des actes personnels de ce dernier ;
– La révision des conditions financières du contrat, particulièrement le montant des redevances, pour refléter la diminution objective de la valeur économique de la marque ;
– L’aménagement des clauses d’exclusivité territoriale et d’approvisionnement, permettant aux franchisés d’atténuer les effets négatifs de leur association avec la marque compromise ;
– L’établissement d’un calendrier de transition permettant aux franchisés de préparer, le cas échéant, leur sortie ordonnée du réseau.
L’intérêt du réseau, distinct tant de l’intérêt individuel du franchiseur que de celui des franchisés, postule une approche systémique des relations contractuelles, où la préservation de l’ensemble prime sur les intérêts particuliers de chaque composante. Cette conception s’inscrit dans l’évolution contemporaine du droit des contrats, marquée par le dépassement progressif de l’individualisme contractuel au profit d’une approche solidariste.
Dans le contexte étudié, l’intérêt du réseau pourrait justifier des solutions équilibrées, reconnaissant la réalité de la défaillance réputationnelle du franchiseur tout en préservant les éléments essentiels de l’édifice contractuel, notamment le savoir-faire et les outils opérationnels.
L’analyse conduite démontre la pertinence particulière des procédures préventives que sont le mandat ad hoc et la conciliation pour appréhender la situation spécifique des franchisés du réseau Stéphane Plaza, confrontés à une défaillance réputationnelle de leur franchiseur. Ces procédures présentent des atouts considérables comparativement à la procédure de sauvegarde, notamment leur confidentialité, leur souplesse et leur orientation fondamentalement consensuelle.
Au-delà du cas d’espèce, cette étude révèle la capacité du droit des entreprises en difficulté à s’extraire de sa vocation traditionnellement liquidative pour devenir un instrument d’équilibrage des relations contractuelles asymétriques. Cette évolution téléologique s’inscrit dans un mouvement plus profond de reconfiguration du droit économique contemporain, où l’autonomie formelle de la volonté cède progressivement le pas à une conception substantielle de l’équilibre contractuel.
La mobilisation stratégique du mandat ad hoc et de la conciliation dans le contexte étudié participe ainsi d’une évolution paradigmatique du droit des contrats, où la préservation des activités économiques viables prime désormais sur le respect absolu de la force obligatoire traditionnelle. En définitive, l’affaire Stéphane Plaza, au-delà de sa singularité factuelle, pourrait contribuer à l’émergence d’une jurisprudence novatrice sur l’utilisation des procédures préventives comme instruments de rééquilibrage contractuel, enrichissant ainsi substantiellement tant la théorie que la pratique du droit de la franchise et, plus largement, du droit des entreprises en difficulté.
Par Maîtres Tristan Girard-Gaymard et Mathieu Couvé, avocats au sein du cabinet Bruzzo Dubucq