C’est sans doute la fin d’une véritable « saga » en matière de restructuration financière d’un des plus gros LBO de la place parisienne, qui, en l’espace d’un peu plus de cinq ans et après deux précédentes restructurations en 2014 puis en 2017, aura permis au groupe Vivarte d’effacer près de 3,3 milliards d’euros de dette. A l’issue des opérations réalisées avant-hier, le 17 décembre 2019, qui viennent clôturer un processus complexe de plusieurs mois, les créanciers obligataires de Vivarte dont Anchorage Capital et Hayfin Capital, ont pris le contrôle du groupe et permis un effacement complet de sa dette en application d’un montage fiduciaire innovant constitué en 2017. Mayday a rencontré Alexandra Bigot et Thomas Doyen, avocats au sein du cabinet Willkie Farr & Gallagher LLP, conseil des principaux créanciers obligataires dans le cadre de ce dossier hors norme.
Alexandra Bigot co-dirige le département Restructuring du cabinet Willkie Farr & Gallagher qu’elle a contribué à créer en 2003. Alexandra est membre du bureau de l’ARE et de l’association III (International Insolvency Institute) et est notamment intervenue sur les dossiers Bourbon, Cromology, Asco Industries, puis Ascoval, Vivarte I et II, Camaieu, Solocal, Latécoère, Genoyer, Gérard Darel, Fly, SNCM, CPI, Frans Bonhomme, Saur, Quick, Materis, Anovo, Mory, etc.
Thomas Doyen est collaborateur senior au sein du département Restructuring du cabinet Willkie Farr & Gallagher qu’il a rejoint en 2014 après une première expérience chez Bredin Prat. Il est membre de l’AJR et d’Insol Europe et est notamment intervenu sur les dossiers Lecta, CGG, Cromology, Asco Industries puis Ascoval, Cauval, Vivarte II, Necotrans, Fly, Gérard Darel, Genoyer, Logo, etc.
Mayday : Le groupe Vivarte vit sa troisième restructuration depuis 2014. Pourriez-vous revenir sur l’historique de ces restructurations ?
Thomas Doyen : En 2014, en proie à d’importantes difficultés, le groupe Vivarte avait entamé une première restructuration financière. Sur les 2,8 milliards d’euros de dette LBO, 2 milliards (dont 1,6 milliards d’euros de dette senior first lien et 400 millions d’euros de dette second lien) ont dû être convertis en capital, alors que certains des fonds parties à la restructuration apportaient parallèlement, sous forme d’obligations, 500 millions d’euros bénéficiant du privilège de new money et que le solde de la dette senior, soit 780 millions d’euros, était « réinstallé ».
Alexandra Bigot : A l’époque, toutes les banques avaient cédé leurs créances et laissé la place à des hedge funds plus à l’aise dans ce genre d’opération. Nous représentions alors le comité de coordination (cocom) des créanciers (qui représentaient plus de 170 établissements) composé de certains CLO historiques du LBO qui souhaitaient voir le nominal de leurs créances le plus préservé possible et des hedge funds qui avaient acquis la dette à un prix décoté. Nous avons œuvré à réduire au maximum l’endettement du groupe, mais en dépit de la volonté des hedge funds de procéder à un renforcement drastique de la structure bilancielle, 780 millions d’euros de dette ont dû être conservés au bilan pour obtenir un accord à l’unanimité, à l’issue de 10 mois de négociation.
En 2017, Vivarte a subi de nouvelles difficultés liées à la crise du retail, à l’échec de la stratégie de montée en gamme menée sur La Halle aux Chaussures et La Halle aux Vêtements et l’absence d’intégration du groupe qui lors des différents LBOs avait acquis enseignes après enseignes, sans création de véritables synergies entre les sociétés le composant. Le poids de la dette réinstallée en 2014 et de la dette new money s’avérait dès lors insupportable.
« Le contrat de fiducie prévoyait que le transfert des titres de Novartex, le transfert des obligations et l’ensemble des opérations de recapitalisation nécessaires au closing devaient dès lors avoir lieu en un mois, ce qui avec le recul s’avérait assez ambitieux » Thomas Doyen
Lors de cette deuxième opération, nous représentions les obligataires qui détenaient la new money apportée en 2014. Les obligataires ne détenant que de la new money, Anchorage Capital et Hayfin Capital, avaient proposé à cette époque de prendre le contrôle du groupe en convertissant leurs obligations et l’ensemble de la dette résiduelle de 2014. Les prêteurs qui ne détenaient que de la dette résiduelle ou qui détenaient conjointement les deux instruments s’y sont opposés. A l’issue de 12 mois de négociation, les parties se sont finalement mis d’accord pour ne convertir en capital que l’intégralité de la dette réinstallée en 2014, soit environ 850 millions d’euros (intérêts compris) tout en repoussant à 2021 la maturité de la dette obligataire émise en 2014 (soit un rééchelonnement de 2 ans). Les créanciers obligataires ont toutefois exigé en contrepartie la mise en place d’une fiducie portant sur les titres de la société holding du groupe, Novartex. Par cette fiducie nous voulions éviter qu’en cas de difficultés financières ultérieures, un troisième processus de restructuration long et couteux ne vienne une nouvelle fois affecter la situation du groupe Vivarte. Outre une classique cession forcée du groupe pour désintéresser les obligataires avec un waterfall, cette fiducie prévoyait également, en cas de défaut, la possibilité pour les obligataires de prendre les clefs du groupe dans le cadre d’un processus dit « d’attribution », via un véhicule pré constitué à l’époque détenu par eux et dont la gouvernance avait été pré-négociée de sorte que si cette option était retenue, elle puisse être mise en œuvre sans entamer de nouvelles négociations.
Mayday : En 2019 le groupe Vivarte doit faire face à de nouvelles difficultés. Patrick Puy a annoncé par voie de presse en juillet dernier que Vivarte ne pourrait pas honorer sa dette en octobre 2019. Que s’est-il passé ?
AB : Lors de la mise en place de la fiducie, les évènements déclencheurs qui avaient été définis portaient sur le respect d’un ratio de levier, d’un montant minimal de liquidités et sur un remboursement cumulé de la new money depuis l’origine de 300 millions d’euros à octobre 2019. Du fait des cessions opérées par le groupe (André, Kookaï, Naf-Naf, Chevignon, Pataugas, Besson et San Marina) il ne restait plus qu’environ 100 millions d’euros de dette obligataire à rembourser pour atteindre ces 300 millions cumulés, ce qui restait non négligeable et aurait mobilisé une trésorerie importante dans un contexte demeurant incertain
Il a été un temps envisagé de demander aux créanciers obligataires d’accepter d’assouplir les ratios des autres évènements déclencheurs (et notamment réduire le montant minimal de liquidités) pour permettre ce remboursement et éviter le déclenchement de la fiducie. Certains obligataires également actionnaires souhaitaient en effet préserver leur position d’actionnaires, d’autant que l’un des trois plus importants obligataires venait de renforcer très significativement sa position au capital. Il en est résulté énormément de pression sur le management. A supposer même que le remboursement de 100 millions d’euros fût faisable, il apparaissait cependant clairement que le solde de la dette obligataire ne pourrait pas être remboursé à maturité (2021). Après différentes discussions autour de différentes options envisageables, une majorité d’obligataires a finalement refusé l’assouplissement des ratios comme de rentrer dans une nouvelle négociation, la fiducie ayant précisément pour objet de l’éviter.
TD : Après l’impact de la crise sociale des gilets jaunes, et alors que le groupe disposait de liquidités suffisantes, les ratios de levier du mois de mai n’étaient pas conformes aux exigences prévues au contrat de fiducie et nous nous attendions à ce que celui d’août ne le soit pas non plus. Le breach a été constitué courant juillet. La convention prévoyait que la fiducie serait mise en œuvre à l’issue du vote des obligataires. Ce dernier a eu lieu le 26 août dernier et il leur a été demandé s’ils voulaient donner une conséquence au breach. Le vote a obtenu une très large majorité en faveur de l’exécution de la fiducie.
« Opérationnellement, l’absence de dette résiduelle et la situation bilancielle complètement assainie permettra au groupe de valoriser efficacement et sereinement ses différentes enseignes et notamment La Halle, Caroll et Minelli » Alexandra Bigot
AB : La mise en œuvre du contrat de fiducie a parfaitement fonctionné, mais son exécution relevait d’une certaine complexité pour des raisons difficiles à anticiper en 2017. D’une part, les délais d’exécution prévus par le contrat étaient très courts et d’autre part, il a fallu anticiper autant que possible, avec l’ensemble des acteurs, l’éventualité que certains obligataires (également actionnaires) pourraient être récalcitrants et ainsi nuire à la fluidité du processus. Il était donc nécessaire de préparer la documentation des différentes étapes et opérations du processus en s’interrogeant chaque fois sur sa faculté d’exécution forcée en référé, si nous devions en arriver à cette issue.
TD : A l’issue de ce premier vote en août, une banque d’affaires de premier plan a été nommée afin d’évaluer la valeur des actifs et la valeur de marché des obligations de new money. Conformément au contrat de fiducie, ladite banque d’affaires a rendu son rapport début novembre. A l’issue d’une période de réflexion contractuelle de 15 jours, les obligataires ont pu choisir entre la cession forcée du groupe et le processus d’attribution, résultant, à l’issue de plusieurs opérations spécifiques, en la prise de contrôle du groupe par le véhicule contrôlé par les créanciers obligataires mis en place en 2017 et l’effacement de la dette obligataire. Le groupe ne changeait toutefois pas complètement de mains puisque trois des quatre plus gros obligataires étaient déjà actionnaires, quoique dans des proportions sensiblement différentes. C’est ainsi que le 19 novembre dernier la quasi-intégralité des obligataires votants se sont prononcés en faveur d’une prise de contrôle (attribution), ceux ayant voté contre la mise en œuvre de la fiducie en août lors du précédent vote ne s’étant pas manifestés. Le contrat de fiducie prévoyait que le transfert des titres de Novartex, le transfert des obligations et l’ensemble des opérations de recapitalisation nécessaires au closing devaient dès lors avoir lieu en un mois, ce qui avec le recul s’avérait assez ambitieux.
Mayday : Alcentra détenait 48 % du capital dont une partie importante avait été acquise quelques mois auparavant et ne semblait pas favorable à la mise en œuvre de la fiducie. Qu’avait-il été prévu pour forcer l’exécution du contrat à l’égard d’obligataires récalcitrants le cas échéant ?
TD : Alcentra a en effet initialement voté contre la mise en œuvre de la fiducie (lors de l’AG tenue en août). Cette décision s’imposait pourtant, dès lors que votée à la majorité requise de la masse. Le principal actionnaire détenait en outre ses obligations à travers onze véhicules différents. Nous ne pouvions donc pas anticiper leur position mais la question se posait pour d’autres obligataires avec qui nous avions au début du processus pas de contact particulier. Certes, la convention de fiducie comme l’ensemble de la documentation mise en place en 2017 s’imposaient aux obligataires (et notamment la promesse de vente des obligations consentie par chacun à la structure luxembourgeoise constituée en 2017), néanmoins il est vrai que leur concours était nécessaire, ne serait-ce que pour signer les contrats de transfert des obligations et autres documents d’exécution.
Comment dès lors anticiper cette situation ?
Comme indiqué et bien que la majorité en faveur de l’attribution en novembre ait été écrasante, nous n’avions aucune certitude que les documents envoyés aux obligataires seraient tous signés en temps et en heure (qui plus est dans un calendrier si resserré) et nous ne voulions prendre aucun risque avec les délais prévus au contrat. Cela valait pour Alcentra mais également pour l’ensemble des fonds dont nous n’étions pas directement le conseil. D’août à décembre 2019 (et même avant), nous avons dû, avec la société et ses conseils et en étroite collaboration avec les fiduciaires, gérer un processus en anticipation permanente des différents scenarii, afin d’avoir un temps d’avance sur toutes les opérations. Nous avons par ailleurs multiplié les contacts avec l’ensemble des créanciers obligataires, directement ou par l’intermédiaire de l’agent, afin que l’information soit communiquée le plus en amont possible et que les créanciers puissent s’organiser au mieux au vu des délais.
AB : Par ailleurs,en cas d’obstruction d’un obligataire nous avions notamment préparé une procédure en exécution forcée devant le juge des référés pour nommer un mandataire qui aurait signé à sa place. Compte tenu du risque non négligeable d’avoir à déposer une telle requête, nous avons fait en sorte, en commun avec la société et ses conseils, que chacune des étapes et opérations à mener, ainsi que la documentation y afférente laisse le moins de champ possible à la discussion ou la contestation.
Finalement, le process a été relativement fluide, mais il a été contraignant et dû obéir à une exécution minutieuse. Nous n’avions pas le droit à l’erreur ni même à la souplesse habituelle que nous mettons en œuvre dans tout closing pour faciliter la réalisation des opérations et la signature de la documentation par nos clients.
La mise en œuvre du processus d’attribution prévu au contrat de fiducie a donc permis notamment (i) le transfert des titres de Novartex dans une société constituée à cette fin dès 2017 par les obligataires, (ii) le transfert de la dette obligataire d’environ 500 millions d’euros à cette nouvelle société et sa conversion en capital, faisant des créanciers obligataires les nouveaux actionnaires du groupe, (iii) l’incorporation au capital des sociétés Novartex et Vivarte de la quasi-totalité de la dette intragroupe, (iv) l’apurement des pertes antérieures du groupe et (v) la mise en place d’une nouvelle gouvernance.
Opérationnellement, l’absence de dette résiduelle et la situation bilancielle complètement assainie permettra au groupe de valoriser efficacement et sereinement ses différentes enseignes et notamment La Halle, Caroll et Minelli.
L’ensemble des créanciers obligataires, et notamment les quatre plus importants Anchorage Capital, Alcentra, Hayfin Capital et Oaktree (certains ayant déjà la double casquette d’actionnaires et de créanciers) deviennent ainsi les seuls actionnaires (à proportion de leur participation dans la dette obligataire) d’un groupe dont l’intégralité de la dette résiduelle est en parallèle effacée (soit près de 500 millions, après 845 millions en 2017 et 2 milliards en 2014).
Les principaux créanciers obligataires étaient conseillés par le cabinet Willkie Farr & Gallagher LLP avec une équipe pilotée par Alexandra Bigot (associée), accompagnée par Thomas Doyen (collaborateur) et Célia Jiquel (collaboratrice) en restructuring, Grégoire Finance (associé) et Ilan Aboukrat (collaborateur) en corporate, Igor Kukhta (special european counsel) en financement, Philippe Grudé (special european counsel) en tax et Dominique Mondoloni (associé) en contentieux.
Patrick Puy est intervenu en tant que manager de crise du groupe Vivarte, lui-même par ailleurs conseillé par le cabinet Gibson Dunn & Crutcher LLP avec notamment Jean-Pierre Farges (associé) en restructuring, Bertrand Delaunay (associé), Séverine Gallet (collaboratrice) et Adrien Bée (collaborateur) en corporate, Amanda Bevan de Bernède (associée) et Arnaud Moulin (collaborateur) en financement et le cabinet De Pardieu Brocas Maffei avec Nadine Gelli (associée) pour les aspects fiscaux et le cabinet Allen & Overy Luxembourg avec Jacques Graas (associé) en corporate et Patrick Mischo (associé) en tax sur les aspects luxembourgeois.
Equitis est intervenu en qualité de fiduciaire avec Stéphan Catoire, Marie Waechter et Eléonore Delplanque de Mandelot.
Propos recueillis par Cyprien de Girval