Mayday était présent parmi plus d’une centaine de convives réunis au Cercle de l’Union Interalliée le 10 octobre dernier pour la conférence co-organisée par Equitis, White & Case, Weil Gotshal & Manges, Gibson Dunn & Crutcher et De Pardieu Brocas Maffei sur le thème « L’efficacité de la fiducie à l’épreuve de la pratique ». Après une introduction de Stéphan Catoire, Président d’Equitis, les intervenants, Jean-Pierre Farges et Pierre-Emmanuel Fender, avocats associés chez Gibson Dunn & Crutcher, Anne-Sophie Noury et Eugénie Amri, avocat associé et avocat chez Weil Gothshal & Manges, Saam Golshani, avocat associé chez White & Case, Philippe Dubois, avocat associé chez De Pardieu Brocas Maffei et professeur de droit à l’Université de Nanterre et Dimitri Lasies, Directeur Général Adjoint chez Equitis Gestion, sont revenus sur leur expérience riche de plus d’une décennie de fiducie et ont présenté les contours de celle qui fut surnommée la reine des suretés dans le cadre cette conférence animée par Marie Waechter, Directrice Adjointe chez Equitis. Comment la fiducie a t elle en pratique su démontrer son efficacité ? Eléments de réponse.
Stéphan Catoire : Pendant longtemps il est vrai que notre système juridique était considéré comme hostile vis-à-vis des créanciers. Cependant par l’introduction de la fiducie en 2007, notre législateur a montré qu’il comprenait les attentes des fournisseurs de crédit. Ces besoins répondent à deux principales attentes : le besoin d’une garantie calée sur la valeur d’un collatéral pour obtenir le remboursement du prêt du débiteur en cas de défaillance ou de défaut de paiement et la nécessité d’un processus rapide pour déclencher la garantie et la transformer en cash alors que le capital est à risque avant ou pendant l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. Accessoirement, parce que je suis au pupitre, j’évoque également le besoin de compter sur un tiers chevronné pour garder l’œil sur vos intérêts. Ce sont les principaux avantages des conventions / contrats de fiducie, qui deviennent une norme dans l’univers de la documentation des prêts en France.
J’ai le plaisir de présider Equitis et je suis fier d’être le premier gestionnaire d’actifs institutionnel à avoir cru au potentiel de la fiducie. J’en profite également, parce quelques collaborateurs sont dans la salle aujourd’hui, que je suis très fier du travail que les services front et back office délivrent tous les jours au service de la fiducie. Nous avons initié en tant qu’Equitis la pratique fiduciaire dès le début 2008, la loi date de 2007, donc juste après la publication de la loi, et avons offert des services de structuration, de gestion d’actifs et de service d’exécution des fiducies au cours des 10 dernières années, à un large éventail de créanciers qui sont, sans ordre particulier, les institutions publiques, les institutions bancaires ou fonds d’emprunts privés dans les domaines de la pratique de la dette publique, de la dette garantie senior, du financement immobilier et évidemment, les crédits en situation spéciale, etc.
« Pendant longtemps il est vrai que notre système juridique était considéré comme hostile vis-à-vis des créanciers. Cependant par l’introduction de la fiducie en 2007, notre législateur a montré qu’il comprenait les attentes des fournisseurs de crédit » Stéphan Catoire, Président Equitis
Depuis 2008, Equitis a signé près de 400 conventions de fiducie. Nous disposons aujourd’hui de plus de 140 fiducies ouvertes. Equitis c’est aussi, si vous ne le saviez pas, 46 fonds sous gestion.
Notre société c’est aussi un total d’actifs sous gestion de plus de 10 milliards d’euros d’encours. Pour rappel Equitis a été cédée à un groupe qui est l’un des plus gros groupes mondiaux dans la gestion d’actif, le groupe IQ-EQ, qui est présent dans 23 pays et donc 23 juridictions différentes. C’est un groupe qui emploie 2.470 personnes et qui a plus de 430 milliards d’euros d’actifs sous gestion.
J’ai envie de continuer en disant que le thème de la conférence de ce jour « L’efficacité de la fiducie à l’épreuve de la pratique » est maintenant avéré.
Nous allons vous exposer un résumé des problèmes auxquels nous avons été confrontés et nous espérons que ce résumé mettra en évidence les avantages de la fiducie dans votre pratique habituelle d’affaires. Je laisse maintenant la parole aux intervenants.
Marie Waechter : Pour évoquer l’efficacité de la fiducie nous vous proposons de nous intéresser à l’efficacité théorique de l’outil, dans un premier temps, puis d’exposer quelques exemples pratiques qui permettrons dans les faits de démontrer que cette efficacité est réelle dans un second temps. Eugénie Amri, pourriez-nous expliquer ce qu’est une fiducie et en particulier comment fonctionne une fiducie sûreté ?
Eugénie Amri : Il faut d’abord commencer par rappeler ce qu’est la fiducie. La loi définie la fiducie comme une opération par laquelle le constituant va affecter des biens, des droits ou des sûretés à un fiduciaire, qui les tenant dans un patrimoine distinct de son patrimoine propre va agir dans un but précis, au profit du bénéficiaire.
C’est la définition légale de la fiducie, étant précisé que la loi n’indique pas quel est l’objet de la fiducie. La loi vous dit juste « le fiduciaire agit dans un but déterminé ». Les parties ont donc une très grande liberté en réalité pour mener la finalité de l’opération. C’est pourquoi, vous avez classiquement deux types de fiducie : la fiducie gestion et la fiducie sûreté.
« En pratique, nous voyons souvent la fiducie gestion dans nos dossiers lorsque le créancier doit s’assurer que l’actionnaire qui est en charge de mener à bien un processus de cession ou de refinancement dans un calendrier déterminé respecte bien ce processus aux fins de désintéresser le créancier » Eugénie Amri, Avocat Weil Gotshal & Manges
Très brièvement, pour ne pas empiéter ce qui sera dit après, la fiducie gestion est une opération par laquelle le constituant va confier la gestion d’un bien à un tiers de confiance, le fiduciaire, à charge pour ce dernier de lui restituer à une date déterminée.
En pratique, nous voyons souvent la fiducie gestion dans nos dossiers lorsque le créancier doit s’assurer que l’actionnaire qui est en charge de mener à bien un processus de cession ou de refinancement dans un calendrier déterminé respecte bien ce processus aux fins de désintéresser le créancier. Si le processus est respecté, il n’y a pas de difficulté. En revanche, en cas de non-respect du calendrier du processus, les créanciers peuvent reprendre la main et donner des instructions au fiduciaire.
Nous avons ensuite la fiducie sûreté qui a cette fois une fonction de garantie. Il s’agit d’une opération par laquelle le constituant va transférer des biens au fiduciaire en garantie d’une obligation qui a été contractée au profit du créancier bénéficiaire.
Que l’on soit dans le cadre d’une fiducie gestion ou d’une fiducie sûreté, vous avez donc trois types d’acteurs :
- Tout d’abord, le fiduciaire, qui est celui qui va recevoir les biens donnés en fiducie. La qualité de fiduciaire est réservée à certains titulaires particuliers prévus par la loi. Ce sont les établissements de crédit, les entreprises d’investissements, les compagnies d’assurances, les avocats. Pour le fiduciaire, nous recommandons en pratique de recourir à un établissement de crédits ou une entreprise d’investissements parce que ces entreprises disposent d’une capacité règlementaire pour gérer des fonds. Or, lorsque vous êtes dans le cas d’une fiducie, il y a forcément la problématique de gestion de fonds qui apparaît.
- Ensuite, le constituant, qui est celui qui va transférer le bien dans le patrimoine fiduciaire. Dans nos dossiers, c’est souvent le débiteur.
- Enfin, le bénéficiaire, qui en pratique est un créancier.
Pour revenir rapidement à la fiducie sureté, c’est une opération visant à affecter des biens en garantie de l’exécution d’une obligation. C’est un transfert de propriété avec une finalité précise. Hors procédures collectives, il y a deux issues possibles pour une fiducie :
- soit l’obligation est correctement exécutée de sorte que le bien, qui était sorti du patrimoine du constituant et qui était allé dans le patrimoine fiduciaire, revient dans le patrimoine du constituant ;
- soit il y a une défaillance du constituant, alors le bénéficiaire va soit pouvoir préempter le bien, soit, en fonction de ce qui est prévu dans le contrat de fiducie – nous y reviendrons -, le fiduciaire est chargé de vendre le bien afin que le bénéficiaire appréhende les produits de la cession.
Voilà schématiquement le fonctionnement de la fiducie.
Marie Waechter : Nous venons de voir les grands principes de la fiducie. Ce que l’on constate en pratique c’est que la fiducie sûreté et la fiducie gestion sont souvent utilisées soit comme un seul et même instrument soit comme deux instruments distincts notamment pour renforcer un security package. Saam Golshani pourriez-vous nous indiquer comment vous utilisez en pratique la fiducie sûreté et la fiducie gestion ?
Saam Golshani : Pour faire simple, je pense qu’il faut faire un pas en arrière et faire une distinction dans nos dossiers entre les dossiers de structuration, où vous traitez de l’argent avec l’émetteur, et les dossiers de restructuration où il convient de venir renforcer le schéma de sûreté consenti au créancier existant ou pour ceux qui apportent la new money, avec toutes les difficultés que cela peut entrainer.
Selon que l’on soit dans le scénario 1 ou le scénario 2, l’utilisation de ces instruments de fiducie va être un peu différente.
« Ces fiducies gestions sur les titres et actions de préférence permettent immédiatement, en attendant la mise en œuvre de la fiducie sûreté sur les titres, de révoquer le management, de le remplacer par un nouveau management de sorte à, d’une certaine façon, accélérer la prise de pouvoir sur l’actif, dès lors que la défaillance qui avait été contractuellement négociée au départ s’est révélée avérée » Saam Golshani, Avocat associé White & Case
Pour faire simple, dans nos dossiers de structuration, si on est dans une situation où le prêteur a effectivement un levier de négociation avec son emprunteur et qu’il est capable de lui imposer le schéma de sûreté qui lui va bien, on a classiquement, en droit français, deux schémas qui résistent aux procédures collectives. Nous avons d’un côté la fameuse Double LuxCo, nous n’y reviendrons pas ici, mais elle nécessite une ingénierie assez conséquente et l’utilisation de structure substituée en dehors de France avec tout ce que cela comporte d’investissement sur place pour assurer qu’il y ait de la substance. C’est un schéma qui fonctionne, nous l’avons notamment vu dans le dossier Courtepaille. Et puis de l’autre côté, un schéma franco-français qui lui aussi résiste parfaitement aux procédures collectives, qu’est la fiducie sûreté sur les titres de la holding. C’est un schéma simple pour lequel il n’y a pas besoin d’introduire un élément de gestion.
Et puis il y a l’utilisation de ces schémas dans des opérations de restructuration où il faut remettre à plat le package de sûreté puisque par définition ce package n’a pas résisté à la défaillance du débiteur. Cela a entrainé l’impossibilité pour le nouvel investisseur de rentrer et d’apporter de l’argent frais et aux investisseurs existants de remettre de l’argent et donc d’améliorer leur position. Dans ces cas-là on voit que dans la rédaction de ces documents, la frontière entre la fiducie sûreté et la fiducie gestion devient un tout petit peu moins tranchée puisque la plupart du temps, on a une fiducie sûreté en ce sens où c’est bien la garantie d’une obligation de paiement dont le non-respect entraine l’appropriation ou la mise en vente de l’actif mais pendant ce laps de temps il existe également des éléments de gestion. Nous pouvons alors parler d’une fiducie sûreté-gestion qui permet de maintenir l’actif qui est donné en gage au créancier, de l’opérer en bon père de famille et de s’assurer que le fiduciaire ne se contente pas de le vendre en cas de défaillance, mais a aussi un droit de gestion limité sur l’actif.
A fortiori, cette situation a lieu lorsque le sous-jacent est composé de titres d’une société. En effet, si l’on met en place une fiducie sûreté sur un actif, que ce soit un immeuble ou un actif industriel (par exemple une machine), comme nous avons pu le voir sur un certain nombre de dossiers, il n’y a pas de problématique de gestion. En revanche dès qu’il s’agit de titres d’une société, il a forcément une part de gestion à inclure dans la fiducie sûreté.
S’ajoute une troisième catégorie d’instruments qui sont des pures fiducies gestion données sur une ou plusieurs actions pour renforcer les aspects du mécanisme de Golden Share que l’on a utilisé tous collectivement autour de cette table. Ce sont des mécanismes qui conduisent à créer des actions de préférences qui ont des droits politiques, ou extra-politiques, qui sont spécifiques et qui sont donnés à une catégorie d’actionnaires titulaires de ces actions de préférence pour lui permettre, dans un certain nombre de cas, d’intervenir dans la gestion de l’entreprise pour mettre en vente, empêcher la mise en vente, ou pour des opérations similaires. Ça nous est tous arrivé, je crois, de mettre ces actions dans des fiducies gestion de sorte que l’on ait un fiduciaire qui a à la fois la main sur les titres de la société, mais qui a également la main sur ces actions de préférence. L’objectif est d’éviter ces situations où, malgré l’existence d’une fiducie sureté sur les titres de la société, le management qui est réuni avec son actionnaire et qui fait face à une défaillance, essaye nonobstant l’existence de cette fiducie d’ouvrir une procédure allant du mandat ad hoc jusqu’au redressement judiciaire destinée à spolier, d’une certaine façon, le créancier ou du moins, interférer avec la mise en œuvre de la sûreté avec cette idée que vous, banque, fonds ou créanciers, vous serez mal à l’aise avec l’idée de vous approprier un actif, dès lors que cet actif est en état de procédure collective ou de procédure de prévention. Ces fiducies gestions sur les titres et actions de préférence permettent immédiatement, en attendant la mise en œuvre de la fiducie sûreté sur les titres, de révoquer le management, de le remplacer par un nouveau management de sorte à, d’une certaine façon, accélérer la prise de pouvoir sur l’actif, dès lors que la défaillance qui avait été contractuellement négociée au départ s’est révélée avérée. Dans ces cas-là, il faut que les créanciers puissent se protéger.
Marie Waechter : Quand on parle de sûreté, se pose nécessairement la question de sa résistance à une procédure collective. Anne-Sophie Noury en matière de fiducie, il est souvent fait référence à la « reine des sûretés », comme l’appelait Pierre Crocq. Pour quelles raisons et comment s’articulent fiducie et procédure collective ?
Anne-Sophie Noury : Avant d’aller évoquer l’articulation de la fiducie et des procédures collectives, pourquoi dit-on que c’est la « reine des sûretés » ? On dit cela en termes de constitution, en termes de protection et puis aussi en termes de gestion.
En termes de constitution, quand c’est une fiducie sûreté, elle est extrêmement pratique par rapport à d’autres sûretés et extrêmement souple, parce que l’on peut y mettre tous les biens que l’on souhaite. On peut mettre des biens différents sous une fiducie sûreté : on peut mettre des biens actuels, des biens futurs, on peut garantir des créances actuelles ou des créances futures. Elle est, en termes de constitution, beaucoup plus souple que d’autres sûretés qui obligent pour chaque type d’actif à avoir une sûreté particulière.
« Elle est aussi d’une efficacité redoutable parce que, quand vous avez des comités, le créancier bénéficiaire de la fiducie n’est pas dilué dans le cadre de ces comités, il est à part » Anne-Sophie Noury, Avocat associé Weil Gotshal
En termes de gestion aussi, la fiducie est particulièrement contractualisée et on donne tous les pouvoirs au fiduciaire, dès lors qu’ils sont précisément définis dans le contrat de fiducie, pour gérer l’actif tant qu’il est dans le patrimoine fiduciaire.
Ensuite, en termes de protection, et là on en arrive à votre question : tout dépend en réalité de l’existence ou non d’une convention de mise à disposition. Lorsqu’une société, un débiteur, transfère l’actif dans un patrimoine fiduciaire, s’opère alors un transfert de propriété. En termes de procédure collective, le bien n’est plus chez le débiteur, il est sorti de son patrimoine. Pour autant, de manière très simple, vous êtes une entreprise de charcuterie, vous avez une machine à découper qui est transférée dans le patrimoine fiduciaire, mais vous allez avoir besoin de cette machine. Se posera donc ensuite la question de la mise à disposition ou non de l’actif. S’il n’y a pas de mise à disposition alors, même pendant la période d’observation, qui est la période pendant laquelle on recherche une solution et donc pendant laquelle le débiteur est en capacité d’établir un plan, le bénéficiaire, donc le créancier, peut directement appréhender l’actif. Et ce, alors que l’on sait qu’en droit français, la quasi-totalité des sûretés, sauf celles qui prévoient un droit de rétention qui permet de s’opposer à la vente d’un actif, sont des sûretés qui sont complètement désactivées pendant les périodes d’établissement et d’exécution du plan de sauvegarde ou de redressement. C’est pourquoi la fiducie, dès lors qu’il n’y a pas de convention de mise à disposition, est d’une efficacité redoutable.
Elle est aussi d’une efficacité redoutable parce que, quand vous avez des comités, le créancier bénéficiaire de la fiducie n’est pas dilué dans le cadre de ces comités, il est à part. A supposer qu’il n’ait pas de minorité de blocage, il ne se fera pas imposer des remises, une incorporation en capital, que sais-je, qu’il n’aurait pas accepté, et ne pourra se voir imposer que des délais dans le cadre des pouvoirs dont dispose le Tribunal pour établir les plans de sauvegarde. C’est pareil en matière de plan de cession et je vous dispense de toutes les exceptions. C’est donc l’une des sûretés les plus efficaces qui puisse exister.
En revanche, si le débiteur conserve l’usage du bien qui est nécessaire à son activité, comme par exemple la machine à découper les jambons de notre entreprise de charcuterie, alors il y a une convention de mise à disposition. Dans ces cas-là, et c’est un peu l’esprit de la loi qui protège le débiteur, on ne va pas enlever une machine qui est indispensable à l’activité, à l’exploitation. Les textes prévoient que le bénéficiaire ne pourra pas appréhender la machine en question, parce que sinon c’est toute l’activité qui s’écroule. Il ne pourra pas l’appréhender, ni pendant la période d’observation ni après, pendant l’exécution du plan, dès lors que le plan est bien exécuté. Une subtilité qui a soulevé beaucoup de débat notamment dans le dossier Camaïeu où se posait la question de l’existence ou non d’une convention de mise à disposition et de son efficacité redoutable en cas de procédures collectives.
Marie Waechter : Effectivement c’est l’objet de ma prochaine question. La convention de mise à disposition est-elle la nuance à apporter à l’efficacité absolue et extrêmement rapide d’une fiducie ? Pierre-Emmanuel Fender, pourriez nous présenter les éléments du débat ?
Pierre-Emmanuel Fender : La convention de mise à disposition est le tempérament nécessaire qu’il a fallu créer pour que la très grande efficacité de la fiducie, qui confisque la propriété d’un actif entre les mains du fiduciaire et au profit d’un bénéficiaire, ne soit pas un obstacle au fonctionnement normal de l’entreprise. Le transfert de propriété du bien peut porter sur toutes sortes d’actifs, des droits, des créances, des biens meubles, des biens immeubles, cela peut être des stocks, cela peut être des machines. Or, il faut pouvoir malgré tout réserver l’usage de cet actif à son utilisateur premier, l’entreprise débitrice, et il faut organiser la manière dont cet usage sera permis.
« La convention de mise à disposition est le tempérament nécessaire qu’il a fallu créer pour que la très grande efficacité de la fiducie, qui confisque la propriété d’un actif entre les mains du fiduciaire et au profit d’un bénéficiaire, ne soit pas un obstacle au fonctionnement normal de l’entreprise » Pierre-Emmanuel Fender, Avocat associé, Gibson Dunn & Crutcher
Deux situations peuvent se présenter en pratique : soit la mise à disposition est le résultat d’une situation de fait, la convention est innomée et n’est pas vraiment définie par les parties voit les parties et le constituant vont, à l’intérieur du contrat de fiducie ou dans un accord annexe, rédiger une véritable convention qui aura pour objet de gérer la mise à disposition de l’actif au constituant. Lorsqu’il existe un contrat spécial ou une figure juridique adaptée, cette convention pourra prendra la forme qui lui ressemble le plus : celle d’une licence, si la fiducie porte par exemple sur une marque, ou celle d’un contrat de location lorsque la fiducie porte sur un bien meuble ou immeuble.
Cet acte se verra en principe appliqué le régime normal et les dispositions impératives du contrat spécial en question. La loi permet cependant par exception d’échapper à certains régimes impératifs : ainsi lorsque c’est un local commercial ou un fonds de commerce qui est transféré en fiducie, la convention de mise à disposition qui prend la forme d’un bail ou d’une location gérance conclue avec le fiduciaire, ne se voit pas obligatoirement appliqué les régimes particulièrement règlementés de ces contrats spéciaux, à moins que les parties n’aient expressément stipulé le contraire.
La convention de mise à disposition doit ensuite être contractuellement aménagée pour s’adapter aux besoins de l’espèce : ainsi dans la situation où, par exemple, une marque est transférée dans le patrimoine fiduciaire à titre de sûreté d’un prêt, lorsque cette marque fait l’objet d’un usage quotidien par le constituant; la plupart du temps, au lieu d’une convention de mise à disposition innomée, un véritable contrat de licence de marque sera mis en place. Celui-ci contiendra des obligations qui auront vocation à s’appliquer quelles que soient les difficultés ou les évènements que la société va affronter. Il peut par exemple y être stipulé une première période de franchise qui correspondra à la période qui précède la date d’échéance du crédit. Lui succèdera ensuite une période à partir de laquelle la licence de marque sera payante avec le paiement d’une redevance plus ou moins onéreuse. La bascule se fera à compter de la date à laquelle le prêt arrivera à échéance lorsqu’il n’aura pas été remboursé.
En résumé : chaque fois qu’un débiteur a besoin de continuer à se servir de l’actif transféré en fiducie dans le cadre de son activité, quel que l’actif dont il s’agit, il y a forcément convention mise à disposition : celle-ci sera soit nommée et fera l’objet de l’établissement d’un contrat propre, ce qui entrainera l’application claire du régime contractuel idoine, soit elle ne sera pas nommée et le régime du contrat de mise à disposition sera défini avec plus d’hésitations en faisant application des dispositions qui semblent les plus adaptées.
La convention de mise à disposition entre naturellement en conflit avec la faculté de cession ou d’attribution dont le fiduciaire dispose en matière de fiducie sûreté. A l’ouverture d’une procédure collective le souhait naturel du créancier bénéficiaire est de monopoliser à son seul profit la valeur de l’actif en question. A l’inverse, l’objectif que poursuit la loi de sauvegarde, est de permettre au débiteur de continuer à opérer normalement, spécialement pendant la période d’observation, ce qui suppose qu’un plan puisse être adopté et mis en œuvre sans que le débiteur ne perde son actif clef.
La loi prévoit donc que la convention de mise à disposition ne peut pas être résiliée du seul fait de l’ouverture d’une première procédure collective : tous les cas de défaut qui peuvent être stipulés dans la convention de fiducie du fait de l’ouverture de la procédure collective du constituant se trouveront paralysés.
L’impact de cette convention de mise à disposition sur l’efficacité de la fiducie est donc bien réel mais il n’est pas permanent et absolu car le débiteur n’a qu’une seule chance : si le plan qui a été adopté s’effondre et qu’une nouvelle procédure collective intervient, il redevient possible de mettre fin à la convention de mise à disposition. Le créancier bénéficiaire de la fiducie peut alors s’approprier non seulement la propriété, mais également la possession effective de l’actif.
Marie Waechter : Pour faire le lien avec notre deuxième partie, je vous propose d’évoquer le dossier Camaïeu dans lequel il a été argué que cette convention de mise à disposition, qui portait en l’espèce sur des titres, avait pu permettre de bloquer la réalisation de la fiducie.
Jean-Pierre Farges : Au risque de décevoir, je ne suis pas convaincu que ce soit un si bon dossier que cela pour illustrer le point. Historiquement, il y avait bien une fiducie, mais ce n’était pas le seul mécanisme mis en place, et d’ailleurs ce n’est pas celui qui a été appliqué. Lorsque nous avions mis en place la fiducie, il n’avait échappé à personne que la question d’une éventuelle mise à disposition des titres pouvait se poser, car quand vous êtes l’actionnaire et que vous transférez la propriété à un tiers vous souhaitez généralement continuer à exercer une influence sur la société. Donc il faut bien trouver le moyen d’impulser un certain nombre d’opérations alors que vous n’avez plus la disposition des titres. Lorsque s’était posée la question, à l’époque, d’éviter qu’une telle qualification puisse être retenue, l’ensemble des parties était d’ailleurs d’accord, y compris celles qui ont ensuite contesté l’absence de mise à disposition. Les parties, d’un commun accord, avaient donc circonscrit les droits du constituant à un nombre limité d’interactions avec le fiduciaire, lequel exerçait seul les prérogatives de l’actionnaire, afin qu’il ne puisse pas être prétendu qu’une mise à disposition existait. Surtout nous avions pris soin de faire acter par le juge, dans une décision définitive ayant autorité de la chose jugée, qu’une telle mise à disposition n’existait pas dans ce dossier. En parallèle, et indépendamment, nous avions mis en place un mandat d’intérêt commun (« MIC ») avant la signature de la fiducie, puisque la loi venait de changer et permettait qu’une promesse de cession de titres soit irrévocable. Donc nous avions un double mécanisme de protection, plus la protection d’une décision ayant l’autorité de la chose jugée.
« En présence d’une fiducie dans laquelle il pourrait y avoir une convention de mise à disposition, et où le non-paiement d’une créance antérieure ou l’ouverture de la procédure constituent des triggers, le texte prévoit clairement que le transfert des actifs est interdit. A contrario, si le trigger n’est pas l’un de ceux mentionnés expressément par le texte, sauf à avoir une lecture contra legem, la fiducie peut fonctionner » Jean-Pierre Farges, Avocat associé, Gibson Dunn
Pour autant, une procédure de sauvegarde a été ouverte, et quelques temps plus tard, le requérant a demandé au juge des référés de paralyser l’exercice potentiel de la fiducie, soutenant qu’il y aurait mise à disposition, et que tant qu’il n’y avait pas de décision sur le fond, la fiducie devait être bloquée à titre conservatoire. C’était pertinent, car s’il avait demandé à ce que ce blocage soit définitif, en soutenant que c’était une évidence, il n’aurait certainement pas eu gain de cause. C’est sur le terrain des mesures conservatoires que la fiducie a donc été bloquée. C’est exactement la même chose qui s’est passée, dans un domaine très différent, dans le cadre du dossier Rallye. Il a été sollicité auprès du juge de ne rien faire, le temps que la question de l’existence ou non d’un dérivé de crédit puisse être tranchée au fond. C’est le propre du juge des référés d’avoir le pouvoir de prendre des mesures conservatoires.
Contrairement à ce que les uns ou les autres ont pu dire, il n’y a pas eu de décision sur la question de savoir s’il y avait une mise à disposition ou pas. Nous ne sommes pas allés jusqu’au bout de la question dans ce dossier, même si je ne pense pas que nous aurions été gênés très longtemps sur le sujet. Et ce notamment pour une raison simple, qui tient à la rédaction très précise de l’article L. 622-23-1 du code de commerce : « Lorsque des biens ou droits présents dans un patrimoine fiduciaire font l’objet d’une convention en exécution de laquelle le débiteur constituant en conserve l’usage ou la jouissance, aucune cession ou aucun transfert de ces biens ou droits ne peut intervenir au profit du fiduciaire ou d’un tiers du seul fait de l’ouverture de la procédure, de l’arrêté du plan ou encore d’un défaut de paiement d’une créance née antérieurement au jugement d’ouverture. Cette interdiction est prévue à peine de nullité de la cession ou du transfert ». En présence d’une fiducie dans laquelle il pourrait y avoir une convention de mise à disposition, et où le non-paiement d’une créance antérieure ou l’ouverture de la procédure constituent des triggers, le texte prévoit clairement que le transfert des actifs est interdit. A contrario, si le trigger n’est pas l’un de ceux mentionnés expressément par le texte, sauf à avoir une lecture contra legem, la fiducie peut fonctionner. C’est juste le texte de la loi. A la fin, le dossier Camaïeu s’est soldé d’une autre manière. D’une part, nous avions prévu qu’il soit acté par les parties et par le tribunal qu’il n’y avait pas de convention de mise à disposition ; d’autre part les triggers n’étant ni l’ouverture d’une procédure, ni le non-paiement d’une créance antérieure, rien n’aurait donc pu justifier le blocage de la fiducie. Ce que nous avons mis en exergue et qui a été accepté par le requérant, c’est qu’en pratique la fiducie, comme le MIC, permettaient l’écrasement de l’intégralité de la dette.
Il devenait tout de même extrêmement difficile pour le requérant d’assumer de préférer garder 500 millions d’euros de dettes, et de ne pas être capable de faire face à ses échéances trois semaines plus tard, plutôt que d’avoir de nouveaux actionnaires qui effacent la totalité de la dette et apportent de la new money. Le bon sens a prévalu et les parties ont accepté qu’il y ait un transfert des titres comme prévu. En revanche, ce transfert n’a pas été effectué via la fiducie mais via le MIC associé à une promesse de cession d’actions, pour éviter tout risque potentiel par rapport à la rupture de l’intégration fiscale. En définitive, la promesse de cession de titres au-dessus n’avait aucune raison de ne pas s’exercer et de ne pas fonctionner. L’idée des parties avait d’ailleurs toujours été d’exercer la promesse de cession de titres au-dessus, la fiducie n’étant finalement qu’un backup. Je note d’ailleurs qu’il n’a jamais été requis de mesures conservatoires pour tenter de bloquer la cession de titres au-dessus.
La seule chose à retenir du dossier Camaïeu, c’est qu’il faut essayer d’avoir une solution dont il ne pourra pas être contesté qu’elle est aussi dans l’intérêt du débiteur. Si la solution que vous mettez en place consiste juste à essayer de prendre possession d’une entreprise et que cette prise de possession se fait au détriment du débiteur, alors ce sera plus difficile à mettre en œuvre. Quand objectivement il est difficile de contester l’intérêt du débiteur et des parties autour de la table, tel qu’elles l’ont compris quand elles ont mis l’accord en place, la fiducie est respectée. En règle générale cela fonctionne très bien.
Saam Golshani : Pour vous qui êtes des créanciers, la vraie question est la structuration du schéma de sureté qui va déterminer le niveau de risque que vous prendrez ou pas, face à cette question de la jouissance de l’actif. Si on est dans des dossiers de financement d’un actif déterminé et qu’on utilise la fiducie pour pouvoir s’approprier cet actif-là, se posera la question de la jouissance. Comme le disait Pierre-Emmanuel Fender, cela ne fait que reculer l’échéance. L’actif reste bien dans le patrimoine fiduciaire et donc à un moment ou à un autre vous finirez par le récupérer. Si on est plutôt dans des dossiers à effet de levier dans lesquels ce que l’on souhaite à obtenir ce sont les titres d’une société, la fiducie fonctionne dès lors qu’on s’assure que les titres de la société qu’on récupère sont ceux qui ont été financés et que donc c’est dans son intérêt social que le changement d’actionnaire puisse s’opérer.
Philippe Dubois : Pour revenir au dossier Camaïeu, le contrat de fiducie est un équilibre à trouver entre le constituant et le bénéficiaire, sous l’égide d’un fiduciaire dont je ne dis pas qu’il est l’arbitre de la fiducie mais tout de même, un pivot qui est là pour appliquer mécaniquement, scrupuleusement et loyalement la convention de fiducie. Ce qui m’a choqué, c’est qu’on puisse bloquer la fiducie sur requête et empêcher le fiduciaire de dérouler la mission qui lui avait été confiée par les deux parties.
Marie Waechter : Jean-Pierre Farges parlait tout à l’heure de la mise à disposition et de l’intégration fiscale. Saam Golshani est-ce qu’on peut faire un point dessus ? Le dossier Camaïeu par exemple était une fiducie sur titres de société et donc nous avions eu à gérer cette problématique à la fois au moment de la structuration et ensuite au moment de l’exercice de certains droits.
Saam Golshani : La fiducie est censée être neutre fiscalement. C’est un peu le fil conducteur. Ce n’est pas une sûreté qui va déclencher dès le premier jour une imposition pour le constituant, parce que sinon forcément ça détruirait l’efficacité et l’intérêt de cette sûreté.
Cela étant dit, lorsque que l’on met en place une fiducie sur titres d’une société où il y a une intégration fiscale, il y a un peu de structuration à mettre en œuvre pour ne casser l’intégration fiscale et se retrouver dans une situation compliquée soit les premiers jours, soit dans le cadre de la mise en œuvre.
Qu’est-il possible de faire dans ces cas-là ?
Habituellement, si l’on doit prendre une fiducie sûreté, on s’assure que la fiducie se situe au niveau des titres de la société qui intègre fiscalement l’autre, de sorte que l’on ne pas casse l’intégration fiscale. Pour prévenir le débat sur le fait qu’il faut que la société dont les titres vont être transférés dans un patrimoine fiduciaire ne soit pas détenue à plus de 95% par une autre société, on utilise souvent deux fiducies et deux fiduciaires. Je pense que cela mériterait une petite modification du texte législatif. Par ailleurs lorsqu’on met en place des fiducies sous la société qui intègre fiscalement, parce que l’on pense qu’elle a une valeur particulière, parce que le prêteur souhaite avoir une sureté au niveau de la société opérationnelle ou se rapprocher de l’actif, il faut s’assurer que la mise en œuvre et la constitution de cette fiducie ne casse pas l’intégration fiscale.
C’est là où on a aussi un conflit, ou en tout cas une opposition, entre le principe de la fiducie et ce que prévoient les textes fiscaux qui estiment qu’il faut quand même que la société de tête qui intègre fiscalement puisse avoir une influence sur la société de sorte à pouvoir maintenir cette société dans l’intégration fiscale, nonobstant le fait que cette société ait été transférée dans le patrimoine fiduciaire.
Certains diront que cette influence est la preuve d’une jouissance. Donc on se retrouve avec la problématique de la jouissance. Effectivement, là il faut essayer autant que possible de rédiger précisément cette fiducie de sorte à éviter de donner l’impression qu’on donne la jouissance à la société qui intègre fiscalement tout en s’assurant d’avoir un minimum d’influence notamment sur les comptes, sur un certain nombre d’éléments que l’administration fiscale regarde, pour pouvoir maintenir l’intégration fiscale.
Pour pallier cette difficulté, il faudrait demander un rescrit. Le problème c’est qu’à chaque fois qu’on demande un rescrit cela prend entre 6 mois et un an. Pour mettre en place ce type de schéma on est souvent pris par le temps, donc une modification de ce texte qui aménage le maintien de l’intégration fiscale serait aussi de nature à améliorer l’efficacité de la sécurité de ce type de schéma.
Marie Waechter : Au plan pratique, sur la base de vos expériences, pourriez-vous nous dire dans quel cas il peut être intéressant de mettre en place une fiducie ? Philippe Dubois, à qui recommanderiez-vous de mettre en place une fiducie et pour répondre à quel besoin ?
Philippe Dubois : Plutôt aux créanciers … Prenons un exemple simple. Une entreprise dans le secteur des services qui va de difficultés en difficultés. Les banques acceptent dans le cadre de procédure de prévention de faire un ultime effort en New Money et la contrepartie de cet ultime effort c’est d’obtenir le privilège d’une fiducie sûreté sur un immeuble. Finalement, la société ne sort pas de ses difficultés, elle bascule alors en redressement, puis en liquidation judiciaire. Un repreneur est retenu par le tribunal. L’immeuble est toujours dans le périmètre de la fiducie. Tout cela se déroule correctement. Puis, vient le temps de la liquidation et les banques reçoivent un appel du liquidateur au sujet de l’immeuble. Les banques lui répondent que l’immeuble n’appartient pas à son administré puisqu’il appartient pour l’instant à la fiducie pour encore quelques années et donc que le fiduciaire va vendre l’immeuble et répartir le prix en suivant les stipulations de la convention de fiducie. En d’autres termes, il va indemniser en principal et intérêts les banques qui avaient fourni du New Money et s’il existe un solde, il reviendra à la procédure collective.
« Pour revenir au dossier Camaïeu, […] ce qui m’a choqué, c’est qu’on puisse bloquer la fiducie sur requête et empêcher le fiduciaire de dérouler la mission qui lui avait été confiée par les deux parties » Philippe Dubois, Avocat associé De Pardieu Brocas
Le liquidateur était de parfaite bonne foi mais il lui semblait que l’immeuble était encore dans le périmètre de la procédure de liquidation judiciaire. Or, il avait quitté le périmètre de la liquidation judiciaire.
En réalité, le liquidateur a trouvé dans les caisses de l’entreprise suffisamment de quoi désintéresser les créanciers garantis par la fiducie sûreté sur l’immeuble. Donc c’est le liquidateur qui a désintéressé les créanciers avec les fonds de la liquidation. L’immeuble a pu retourner dans le patrimoine de la société en liquidation et c’est le liquidateur qui l’a ensuite vendu dans les formes que vous savez.
L’efficacité en l’occurrence de la fiducie était totale. Il n’y avait pas de difficultés particulières, pas de convention de mise à disposition, le repreneur n’a pas souhaité reprendre le bail. L’efficacité de la fiducie tient aussi des réactions qu’elle suscite parce que liquidateur aurait pu dire, « laissons le fiduciaire faire le job », en l’occurrence, le liquidateur a préféré trouver l’argent pour désintéresser les créanciers garantis par la fiducie pour ensuite lui-même jouer naturellement son rôle de liquidateur en récupérant la propriété de l’immeuble et en le vendant dans les formes qu’on connait dans la loi.
C’est typiquement un cas où la fiducie s’est montrée d’une efficacité redoutable.
Marie Waechter : On voit bien dans votre exemple que c’est le transfert initial de propriété qui a permis de donner toute l’efficacité à cet outil. Est-ce qu’il y a d’autres ingrédients qui permettent de rendre une fiducie particulièrement efficace ?
Eugénie Amri : Je pense que très basiquement mais aussi d’une façon très importante, une fiducie est aussi efficace compte tenu de la qualité des intervenants sur le dossier. On a vu dans tout ce qui a été dit que la fiducie a un champ d’application très vaste. Fiducie gestion, fiducie sureté, on a vu qu’elle pouvait porter sur un certain nombre de biens, de droit, de sûretés, etc., et il y a une très grande liberté contractuelle en matière de fiducie avec tous les écueils que cela peut avoir. Donc pour moi avant tout le rôle du rédacteur du contrat de fiducie est essentiel et notamment dans la définition de la mission du fiduciaire qui n’est pas toujours très évidente ou en tout cas bien délimitée.
Anne-Sophie Noury : La fiducie est un outil, on l’a vu, qui est très efficace, et puis quand on est débiteur et qu’on cherche de la New Money et qu’on est dans une situation difficile, c’est une sûreté évidemment qui va être acceptée puisqu’elle va être imposée plus ou moins par des créanciers.
Il faut quand même mesurer l’instrument parce qu’il est effectivement d’une efficacité redoutable mais il peut avoir aussi des inconvénients dont il faut parler.
On a vu certains dossiers où le débiteur n’avait pas d’autres choix que de l’accepter et que cela pouvait avoir un certain nombre de conséquences pour lui. Je pense notamment à la fiducie sur des titres de sociétés étrangères puisque comme on l’a dit la propriété est transférée et le fait que certaines sociétés, notamment des filiales étrangères qui ont une fiscalité distincte et pour lesquels le Code général des impôts ne s’applique pas, peuvent se voir imposer des conditions fiscales défavorables du fait de la perte de contrôle de l’actionnaire initial. Je pense notamment à tous les flux qui sont remontés entre la filiale étrangère, dont les titres sont sous fiducie, vers la société mère, notamment dès lors que l’actionnaire initial n’est plus réputé détenir le contrôle de la société.
Autre difficulté qu’il faut aussi avoir à l’esprit et qui est à nouveau liée à cette efficacité redoutable du transfert de propriété, c’est l’effet sur les contrats qui sont portés par la société dont les titres sont transférés. Vous pouvez avoir un certain nombre de contrats qui prévoient de manière très basique, des clauses de changement de contrôle.
Comme, a fortiori dans une société étrangère la notion de fiducie n’existe nulle part ailleurs à ma connaissance selon sa conception française, si vous expliquez à un cocontractant, notamment un cocontractant opérationnel, qu’il y a changement de contrôle, mais qu’en fait il n’y a pas vraiment changement de contrôle parce que c’est toujours l’actionnaire initial qui reste là, qu’il a certain droit, mais qu’en fait il n’en a pas vraiment la jouissance, parce qu’il était prévu qu’il n’y ait pas de mise à disposition, cela peut être un discours complexe à entendre pour justifier qu’en réalité économiquement il n’y a pas de changement de contrôle.
Saam Golshani : Comme Anne-Sophie Noury intervient souvent du côté débiteur, je voudrais répondre à cela, afin que vous ne restiez pas sur cette affirmation-là.
Qu’il faille faire une analyse fiscale du pays dans lequel la société étrangère dont les titres sont donnés en fiducie était immatriculée, ça c’est clair. Il y a effectivement des pays qui ne reconnaissent pas la fiducie, ou ne reconnaissent pas ce type de transfert et on peut se retrouver dans des situations un petit peu baroque sur le plan fiscal. Maintenant, il y a quand même pas mal de pays anglo-saxons qui reconnaissent les Trust et effectivement, une fiducie et un trust c’est quand même à peu près la même chose sauf qu’il y en a un qui commence par « f » et l’autre par « t », mais à peu de chose près, c’est très ressemblant.
Donc oui, cela demande en amont un peu de travail de structuration. Pour autant des fiducies sur des titres de sociétés étrangères, ça fonctionne et ça fonctionne tellement qu’effectivement le débiteur a tendance à vouloir mettre tout un tas d’argument en avant pour dire « Je ne peux pas, j’aurais tellement voulu vous donner ces titres en sûreté via une fiducie, mais je ne peux vraiment pas alors je vous propose un nantissement ! ». Donc ça évidemment c’est un dialogue commercial, mais sur le plan du droit, sous réserve de certains pays, la plupart du temps, ça marche quand même.
Anne-Sophie Noury : C’est un débat régulier auquel vous avez dû être confrontés, mais à nouveau, c’est un outil très utile, qui permet de trouver des accords même dans des situations très complexes, c’est simplement pour dire que ce n’est pas un outil merveilleux sorti du paradis et qu’il peut présenter dans certaines circonstances des inconvénients qu’il faut mesurer. Au-delà des arguments de négociation qui évidemment interviendront dans nos dossiers, il faut pouvoir mesurer de manière effective parce que dans certains cas, n’en déplaise à Saam Golshani, y compris dans des pays anglo-saxons, il peut y avoir certains inconvénients qu’on teste finalement après. Sur le moment à nouveau la question ne se pose pas, mieux vaut la survie que la mort, mais certaines expériences, limitées, car encore une fois ça reste un bon outil, doivent nous apprendre à utiliser cet outil de manière mesurée et réfléchie.
Eugénie Amri : Peut-être juste un point pour compléter : on parlait de l’importance des rédacteurs du contrat de fiducie. On a évoqué les difficultés, les écueils. Autre point important : je pense que le fiduciaire, est vraiment un acteur essentiel, qui est clé, étant précisé que le fiduciaire va intervenir dans deux moments importants, déjà au stade de la constitution de la fiducie, c’est important de pouvoir se reposer sur l’expérience d’un fiduciaire de qualité avec qui vous avez l’habitude de travailler. Deuxième point important, l’intervention du fiduciaire c’est évidemment pendant la vie d’une fiducie. C’est important d’avoir un fiduciaire qui a un back office assez efficace et rapide et qui comprend bien les problématiques. En pratique on le voit bien dans les dossiers c’est quelque chose qui est clé.
Marie Waechter : Dimitri Lasies, vous qui êtes un ancien banquier et qui avez éprouvé vous-même la fiducie lorsque vous l’étiez, quelles sont les qualités que doit réunir un fiduciaire pour donner toute son efficacité à l’outil ?
Dimitri Lasies : La fiducie est efficace et comme tout outil efficace, il faut savoir l’utiliser. Si on introduit du risque opérationnel dans un process cela fonctionne mal. Mieux vaut alors utiliser des outils moyens partout que l’on utilise de manière moyenne. Utiliser un dispositif extrêmement solide et y introduire une mauvaise application, des cas de figure dans lesquels cela ne fonctionnera pas, c’est promettre du vent au bénéficiaire en disant ça marchera, sauf que le jour où l’outil doit prouver son efficacité il y a des situations qui font que cela ne marche pas.
Ce sont des discussions que j’ai eues en interne lorsque j’étais banquier, la première étape consistant à démontrer que la fiducie fonctionne, qu’il y a un transfert de propriété, que cela marche très bien.
La seconde question, c’est qui est Equitis ? Déjà est-ce que n’importe qui peut être fiduciaire ? On y a répondu, non ! Parmi les fiduciaires à qui vais-je remettre l’éventuel remboursement de ma créance, par exemple sur un prêt immobilier pendant 12 ou 15 ans, en me disant que ça va bien se passer je vais être remboursé par le débiteur et sinon j’appuie sur le bouton du fiduciaire et je suis remboursé. Encore faut-il que pendant 15 ans cela se passe bien et que la mission du fiduciaire ait bien été remplie. Chez Equitis, il y a deux phases. Il y a la première phase d’assistance à la rédaction. On intervient très en amont dans la rédaction des fiducies. On accompagne les créanciers, les banques, pour leur dire qu’on verrait bien les choses comme ça, parce qu’on l’a déjà fait, parce qu’on sait que ça fonctionne. Parfois on l’a testé à l’épreuve du feu. On peut accompagner les créanciers dans la structuration à partir d’une problématique « j’aimerais prêter, je vois qu’il y a des actifs, en revanche je n’ai pas d’outils à ma disposition, parmi les outils classiques habituels, pour réaliser cette opération dans de bonnes conditions ».
Donc là vous avez à votre disposition une équipe de front office qui est composée d’anciens et d’anciennes avocates, d’un ancien banquier, qui vous accompagne jusqu’à la signature de la convention de fiducie.
Au jour de la signature de la convention de fiducie, c’est là que le métier de fiduciaire commence. C’est là que le transfert de propriété est effectif, c’est là qu’un fiduciaire devient soit actionnaire d’une société dont les titres ont été transférés, soit propriétaire d’un immeuble de bureau, soit propriétaire d’une marque, d’actifs incorporels, soit propriétaire de tous les actifs qu’on peut transférer en fiducie et ceci pour une durée plus ou moins longue. Et qui doit rendre compte évidement aux créanciers, mais pas seulement. Il y a le constituant qui remet entre les mains d’un fiduciaire ses propres actifs, sa propre richesse, et qui doit, s’il a bien respecté ses engagements les utiliser comme s’il en était propriétaire et à la fin récupérer ses actifs. Alors, il doit pouvoir récupérer son actif dans de bonnes conditions et on doit lui rendre des comptes pendant toute la durée de la fiducie et ça c’est notre back office qui réalise ça.
« On peut accompagner les créanciers dans la structuration à partir d’une problématique « j’aimerais prêter, je vois qu’il y a des actifs, en revanche je n’ai pas d’outils à ma disposition, parmi les outils classiques habituels, pour réaliser cette opération dans de bonnes conditions » » Dimitrie Lasies, Directeur Equitis
Durant la vie de la fiducie il y a également des diligences à mener. Par exemple, lorsque nous sommes sur une fiducie sur titres, il faut voter en assemblée générale, il faut vérifier un certain nombre de choses. Encore une fois, c’est la force d’une société de gestion agrée AMF dont c’est l’ADN de gérer les actifs pour le compte d’autrui et de rendre des comptes aux parties qui nous ont remis leurs actifs. Et si le constituant se trouvait défaillant, c’est bien que le fiduciaire soit propriétaire d’un actif, mais c’est encore mieux s’il le vend dans les meilleures conditions possibles, en respectant les règles de droit qui s’imposent au fiduciaire, pour ne pas introduire un risque opérationnel, afin de pouvoir distribuer le produit de cession conformément à ce que la loi prévoit et conformément à ce que la convention de fiducie prévoit. Donc il faut avoir une société dont la structure juridique fait que la personne morale survit par définition aux mobilités de ses propres collaborateurs. Quand on part sur 15 ans pour un crédit immobilier, il faut pouvoir pendant 15 ans avoir en face de soi un fiduciaire qui a les épaules solides, qui a les fonds propres, qui appartient à un groupe, qui a prouvé sa capacité à avancer des fonds quand il faut, quand on est appelé au titre de la taxe foncière, quand on doit réaliser des expertises, quand on doit réaliser des mesures conservatoires. On ne vient pas systématiquement frapper à la porte des parties, même si c’est prévu, en disant là il faut dépenser un peu d’argent pour préserver le mécanisme, on vous demande de le faire. On est capable également d’avancer les sommes, toujours dans l’intérêt des parties.
Marie Waechter : Anne-Sophie Noury nous a rappelé que la fiducie n’était pas applicable et pertinente à toute situation. Pierre-Emmanuel Fender, en pratique dans quels cas recommandez-vous de mettre en place la fiducie ?
Pierre-Emmanuel Fender : Je vais rebondir sur ce que disait Dimitri Lasies. La fiducie ne doit pas être employée n’importe comment, pour sécuriser n’importe quoi. La fiducie a surgi dans un paysage des suretés françaises qui était assez largement perçu comme dévasté, spécialement à l’étranger. Et ainsi à chaque fois qu’il est besoin d’une sureté qui fonctionne, c’est la figure juridique qui vient à l’esprit.
La première considération du point de vue d’un rédacteur est pratique : les actifs que l’on souhaite transférer en fiducie sont plus ou moins facile à gérer pour le fiduciaire pendant la vie du contrat de fiducie mais, au plan juridique, la plasticité de l’outil fait qu’il est possible de l’adapter à a peu près à tout, y compris des stocks sur toute sorte de choses, des poulets vivants, du pétrole… Pour toutes ces hypothèses il n’existe pas de standard déjà rédigé qui tourne sur tout et cela suppose donc d’adapter les contrats aux situations particulières. Cette nécessité d’adaptation consomme du temps et de l’argent et il faut donc que les enjeux, les créances qui sont sécurisées de la sorte, justifient le temps passé à mettre en place ces mécaniques délicates.
La seconde considération, plus fondamentale, la boussole qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est la légitimité de l’usage qui en est fait. C’est-à-dire, quand on parle de fiducie sureté, il faut qu’il apparaisse comme légitime à tout le monde qu’à un moment donné il y a aura confiscation de la valeur de l’actif au profit du bénéficiaire de la fiducie. C’est la boussole qu’il ne faut pas quitter des yeux, lorsqu’est mise en place une fiducie sureté.
Cette exigence est moins forte lorsque l’on parle de fiducie gestion. Celle-ci a l’avantage de donner au fiduciaire le contrôle de l’actif. C’est le plus souvent suffisant pour permettre d’obtenir le résultat que recherche le créancier qui est in fine le paiement de sa créance, tandis que nombre de créanciers ne souhaitent pas en réalité se servir de la fiducie pour devenir propriétaire de l’actif… Encore une fois quand on parle à l’inverse de fiducie sureté, il faut spécialement veiller à sa légitimité et se méfier de la perception que l’ensemble des acteurs peut avoir du monopole d’accès à la valeur de l’actif donné au bénéficiaire.
Jean-Pierre Farges : Si la fiducie est certainement un outil très perfectionné, c’est aussi un instrument un peu lourd, comme vous l’aurez compris. Je vais décevoir mon voisin, qui m’a surnommé pendant longtemps « Fargucie », mais je ne crois pas que l’on doive mettre des fiducies partout.
Dans le cas de Camaieu, la légitimité de la fiducie tenait entre autres choses à la demande-même des sponsors qui l’avaient acceptée en demandant « Non, s’il vous plait, ne prenez pas les clés, donnez-nous encore une chance ». D’où d’ailleurs la réaction de Philippe Dubois qui a dit : « C’est un peu curieux et c’est quand même gênant de voir des gens qui viennent signer un contrat où ils sont d’accord sur tout, et qui essayent ensuite de contester la chance qu’on leur a donnée. »
Parce que la difficulté qu’on aura, quels que soient les mécanismes, c’est que quand vous êtes avec des gens qui ne veulent pas exécuter un contrat ou qui ne sont pas de bonne foi, dans tous les systèmes juridiques quels qu’ils soient, il y a des moyens de faire de la procédure. C’est utopique de penser qu’il peut y avoir un moyen absolument parfait de tout prendre tout de suite en ne perdant pas une seconde. Devant les juridictions américaines ou anglo-saxonnes, on s’aperçoit qu’il y a aussi des contentieux, il y a des blocages dans l’exercice des sûretés, alors que ce sont des pays qui sont beaucoup plus amicaux que ne peut l’être la France envers les créanciers.
Au demeurant je ne suis pas sûr que, à moyen terme, leurs résultats soient bien meilleurs que les nôtres. Après avoir été associé d’un cabinet anglais, et aujourd’hui d’un cabinet américain, il y a quand même quelques statistiques que j’invite tout le monde à bien regarder. En Angleterre, le Fire Sale, ça ne permet pas à 5 ans aux créanciers d’être en meilleure position qu’en France, donc je vous en prie, notre système est plutôt bon, ne croyez pas qu’il soit mauvais – et la fiducie est un très bon instrument – mais il ne doit pas être utilisé à tort et à travers. Il faut l’utiliser quand on est dans des situations qui le justifient. Il faut comme toujours avoir une position raisonnable et c’est ça aussi qui permettra d’avoir l’efficacité recherchée.
S’il subsiste le sentiment qu’une fiducie a été prise de façon abusive, je ne suis pas convaincu que ce sera le meilleur moyen ensuite de pouvoir l’exercer sereinement. Il faut savoir garder raison.
Il y a un élément de complexité additionnel par rapport à tous les points que nous avons discutés, c’est évidemment la mise en application de la directive avec les classes de créanciers. Nous allons surveiller cela avec attention, et la question du traitement de la fiducie dans les comités de créanciers sera un élément de plus à prendre en compte dans les mois qui viennent, pour les créanciers comme pour les débiteurs, dans la mise en œuvre ou dans la mise en place de ce type de sûreté.
Saam Golshani : Moi je dirais juste un mot : « Ce n’est pas un instrument de 3 heures du matin ». C’est-à-dire que la fiducie, ça se réfléchi, ça se met en œuvre en amont. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire dans l’urgence, parce que de notre expérience, c’est quand même qu’à chaque fois que cela a été fait dans l’urgence, quand on relit, on est un peu surpris du résultat.
Jean-Pierre Farges : Et parfois même quand ça n’a pas été fait dans l’urgence…
Marie Waechter : Alors ce n’est pas un outil qu’on utilise dans tous les cas de figure, c’est parfois quand même un outil qui vient sauver une situation et qui est parfois la seule solution pour débloquer une opération. Philippe Dubois, est ce que vous avez déjà vécu ce type d’expérience ?
Philippe Dubois : Peut-être un mini cas pratique pour illustrer tout ce qui vient d’être dit et que je partage très largement, à l’exception peut-être d’une partie de ce qu’a dit Anne Sophie mais ça c’est normal ! Ce genre de mécanisme doit être réfléchi en amont et c’est d’autant plus efficace que ça a été réfléchi et que tous les points d’attention ont été adressés.
Prenons l’exemple d’un groupe industriel en difficulté, un besoin pressent de new money ne serait-ce que pour faire la paye de la fin du mois en cours ou la fin du mois suivant, et qui décide dans cette situation de crise de lever de la new money et de donner en garantie les titres d’une filiale qui au demeurant était destinée à être vendue. On a, à l’occasion de ce qui a été dit lors de cette table ronde, évoqué la question de la mise à disposition. Alors, si je transfère les titres d’une filiale à un fiduciaire est-ce qu’il y a ou non mise à disposition ? Qui vote dans les AG ? Est-ce que c’est le fiduciaire ? Mais de qui prend-il ses instructions ? Je n’y reviens pas.
On a évoqué en la personne de Saam Golshani, la question de l’intégration fiscale, est-ce qu’on sort, est-ce qu’on ne sort pas ? Il y a d’autres points d’attention sur lesquels je voudrais m’arrêter un instant.
Il y a les contrats dont a parlé Anne-Sophie avec les clauses d’actionnariat ou de paysage. Oui, la filiale dont les titres vont être mis en fiducie change juridiquement d’actionnaire. Est-ce que ça a un impact sur certain type de contrat, compte tenu des stipulations contractuelles conclues avec certains partenaires de l’entreprise ?
Pour continuer sur l’exemple de cette filiale qui a des salariés, ils ont pour employeur la même société sauf que cette société change d’actionnaire et évidemment pour les salariés, ce n’est pas pareil, je répète, juridiquement l’employeur est le même c’est la filiale, mais derrière la filiale il y a son actionnariat. Dans un premier temps c’était le groupe industriel, désormais c’est devenu le fiduciaire. Donc une question qui se pose et s’adresse essentiellement aux spécialistes du droit social qui ne sont pas forcément dans la salle, faut-il informer / consulter les institutions représentatives du personnel ? Parce que je ne dis pas, je le répète, juridiquement, les salariés de la filiale ne changent pas d’employeur, mais l’employeur change d’actionnaire radicalement puisqu’on passe d’un groupe industriel à un fiduciaire.
Et maintenant côté constituant, c’est-à-dire, du côté du groupe industriel qui met les titres de la filiale en fiducie, il se prive d’une partie de ses actifs. Ça aussi ça mérite peut-être un processus d’information et de consultation au sein des IRP du constituant et non pas de la cible. Premier élément, premier point d’attention, que je livre à votre réflexion.
La mise en fiducie c’est un transfert de propriété. Ça n’est pas une vente parce qu’il n’y a pas de prix, ça n’est pas une libéralité, puisqu’il n’y a pas d’intention libérale, ça n’en est pas moins un transfert de propriété. Or, quand on cède la propriété d’une société et que certains seuils sont réunis il faut parfois, sinon toujours, notifier à l’autorité de la concurrence.
Est-ce que, quand je mets temporairement, parce que par définition la fiducie est temporaire, et je vous interroge collectivement, ainsi qu’évidemment mes confrères et amis, est-ce quand on met en fiducie les titres, 100 % du capital d’une filiale importante, est ce qu’il faut, la question est ouverte et n’a jamais été je crois sinon posée du moins tranchée, est-ce qu’il faut ou pas notifier ou a minima informer l’autorité de la concurrence ?
J’ajoute qu’en droit européen, il est possible avant que les autorités européennes autorisent tel ou tel transfert de propriété, de mettre temporairement les titres, par exemple à la propriété d’une banque qui va porter temporairement les titres de la société concernée, avant que l’autorisation ne soit donnée. Donc deuxième point d’attention, la problématique de l’autorité de la concurrence.
Troisième point d’attention : quand on cède des titres d’une filiale, généralement cette filiale est financée en compte courant. Est-ce qu’il ne faut pas mettre également en fiducie le compte courant de la mère, c’est-à-dire du constituant à l’encontre de la cible ?
Quatrième point d’attention : souvent au-delà de la problématique de l’intégration fiscale, tout ça fonctionnait au travers d’une convention de trésorerie, sauf que la filiale va quitter le groupe puisqu’elle devient la propriété du fiduciaire. Est-ce que la filiale peut-encore ou non être incluse dans le périmètre d’une convention de trésorerie ? Est-ce que l’argent peut circuler librement entre le groupe et la filiale qui n’appartient plus au groupe ? Est-ce que le compte courant peut servir, de ce point de vue-là, de véhicule, de tuyau etc.
Cette filiale, elle était évidemment destinée, comme je le disais en amont, à être mise en vente. Qui dit mise en vente, dit banque d’affaires, pour des filiales importantes. Il faut évidemment coordonner la mission du banquier d’affaires avec la mission du fiduciaire. Il ne faut pas que le banquier fasse le job et que finalement le fiduciaire fasse la même chose quelque temps après. Tout ça pour dire que, je suis le premier à reconnaître que c’est un outil extrêmement efficace, d’autant plus efficace que le soin le plus scrupuleux aura été porté en amont à la prise de décision de mettre en fiducie et aux conditions juridiques de la mise en fiducie.
Je terminerai par où Pierre-Emmanuel Fender a commencé tout à l’heure, la fiducie, moi je l’ai entendu de la bouche de certain, c’est peut-être la meilleure des choses, c’est peut-être la bonne à tout faire en droit des sûretés, mais elle doit rester dans l’intérêt social du constituant. Au sein d’un groupe, n’importe quelle filiale ne peut pas mettre un actif en fiducie en garantie de la dette de son arrière-grand-mère parce qu’il y a un problème d’intérêt social, de sûretés remontantes, etc. Tout ça pour dire qu’il y a un travail à faire en amont et la fiducie sera d’autant plus efficace que juridiquement, les points d’attentions auront été tous, les uns après les autres, adressés, qu’on y aura répondu, que le contrat de fiducie reflètera tout ça et au final, oui, dans ces conditions, elle sera efficace.
Marie Waechter : Vous avez parlé de l’intérêt social. Dimitri Lasies, est-ce que la fiducie ne présente pas d’autres intérêts.
Philippe Dubois : Je parlais de l’intérêt social du constituant qui va donc se priver de la propriété d’un bien qui lui appartient, si c’est pour garantir sa propre dette, il n’y a pas de problème, mais évidemment si c’est pour garantir une dette qui est logée un peu ailleurs au sein du groupe, et bien ce sont des réflexions que collectivement, les uns les autres, ont connait bien et qui trouve des solutions.
Dimitri Lasies : En parlant de l’intérêt social, parfois on s’en rend compte avec les prêteurs, c’est la difficulté de prêter à une structure holding et de prendre en garantie un actif immobilier qui est logé dans une filiale, là on a problème d’intérêt social.
La fiducie sur titres permet souvent de contourner ce problème parce que c’est bien l’emprunteur qui va se déposséder et qui va donner en garantie son actif, son actif n’étant pas un actif immobilier mais son actif étant les titres de la société.
Alors on peut prendre la fiducie sûreté, c’est d’ailleurs ce qu’on fait encore beaucoup, pour son aspect garantie, il ne faut pas avoir peur des mots. Ce n’est pas du prêt sur gage, ce n’est pas plus du prêt sur gage que de prêter en prenant des cascades de garanties moyennement efficaces, qui n’ont jamais fait une garantie efficace. Généralement on met par-dessus, la caution du dirigeant. La fiducie est parfois plus efficace. Après je suis d’accord ce n’est pas la martingale. Il ne faut pas l’utiliser partout, il faut faire attention, il y a des cas de figures dans lesquels ça marche assez bien. Il y a des cas dans lesquels la finalité même de la fiducie, telle qu’elle est recherchée par le prêteur, c’est d’être bien garantie. « Je veux bien prêter à cette entreprise, mais j’ai besoin d’être bien garanti. Je sais qu’avec d’autres dispositifs de garantie habituels, j’ai pu constater que si par malheur, ça se passait mal pour mon client, moi créancier, ça ne se passera pas très bien, même si je mets en place des garanties habituelles ». C’est toujours une recherche de sécurité au travers de la fiducie sûreté.
Je fais un parallèle avec ce qu’on a connu dans la banque il y a quelques années avec l’affacturage qu’on proposait à des clients et qui généralement répondait : « mais je ne comprends pas, je me porte bien, pourquoi vous me parlez de ce produit, c’est réservé aux entreprises qui ont tendance à avoir des difficultés » alors qu’aujourd’hui l’affacturage est utilisé très simplement par des entreprises de manière soit extrêmement solide, soit parfois de manière confidentielle et c’est un outil de gérer un poste client, que l’entreprise soit en difficultés ou saine.
La fiducie, on constate, que nous sommes contactés de plus en plus dans des problématiques de monétisation d’actifs au bilan. Une entreprise peut avoir des actifs qui génèrent des revenus locatifs, des revenus d’exploitation qui sont des actifs industriels qui permettent de générer du chiffre d’affaires, de vendre, etc. que l’entreprise a besoin de garder, mais qui en revanche présentent une valeur marchande importante et la fiducie permet, on le constate et on monte des dossiers d’ailleurs dans ce genre de situation, à l’entreprise, en transférant la propriété de cet actif mais en conservant les revenus qu’ils soient locatifs ou autres, si l’on conserve l’usage, de dégager des liquidité, au travers d’un financement. Les liquidités vont permettre à l’entreprise d’investir dans d’autres outils d’exploitation, dans d’autres actifs immobiliers si l’on parle d’une foncière. La fiducie permet dans cette situation de créer de la valeur à partir d’actifs, sans les vendre et en conservant les revenus liés à ces actifs. Preuve en est, on a de plus en plus d’emprunteurs, de futurs constituants, parfaitement sains qui nous appellent pour réfléchir à une fiducie, on structure en leur expliquant comment on pourrait faire, comment nous nous voyons les choses ce qui nous demande ensuite de les accompagner pour expliquer, pour persuader leurs banquiers de les financer au travers d’une fiducie. Donc aujourd’hui, nous avons des constituants sains qui nous demandent d’expliquer à leurs banquiers en quoi la fiducie peut leur permettre de se développer.
Marie Waechter : Chers intervenants, merci beaucoup pour ces échanges extrêmement riches. Est-ce qu’il y a des questions dans la salle ?
Stéphan Catoire : Ce n’est pas une question que je voudrais poser, je voudrais juste donner une petite information complémentaire, je ne voudrais pas me fâcher avec mon ami Jean-Pierre Farges, mais là on a vu la fiducie principalement dans les démonstrations qui ont été faites sur un axe d’entreprises en restructuration ou en difficultés ou en mandat ad hoc, conciliation qu’on connait bien.
Je dirais qu’aujourd’hui le développement de la fiducie passe par la mise en place de cette sûreté dans un grand nombre de dossiers in bonis.
Je prends des exemples : lorsque vous avez une flotte automobile à financer. La banque va demander un gage sur les véhicules et quelles possibilités ont-elles ? Le gage civil ou le gage commercial. Et en même temps, quand les montants commencent à être relativement importants, la sûreté que représente le gage ne résiste pas beaucoup, sauf dans le cas d’un gage avec dépossession, face aux procédures collectives. En collaboration avec une grande banque de réseau, qui est d’ailleurs présente dans cette salle, nous avons mise en place des conventions de fiducie afin de garantir des flottes entières de véhicules, avec des garanties qui ne sont pas très onéreuses et qui sont beaucoup plus sécurisantes que le gage.
Le deuxième exemple qui me vient à l’esprit, très rapidement pour en faire profiter les banquiers et prêteurs de deniers qui sont dans la salle, c’est la mise en place de fiducies en lieu et place de Sale and Lease Back. Vous connaissez tous ce système du Sale and Lease Back. Vous avez à votre actif du bilan, un bâtiment industriel ou commercial, qui a une valeur nette comptable de 20, une valeur vénale de 100 et vous allez chercher un financement auprès d’un crédit bailleur de 80. L’emprunteur, futur crédit preneur, va signer un contrat de bail financier habituellement de 12 ans, un bail avec le crédit bailleur d’une même durée et si tout se passe bien, au bout des 12 ans vous pourrez racheter votre bien à une valeur résiduelle.
Dans ce schéma, l’emprunteur doit payer, premièrement des droits au taux minoré, puis les taxes d’enregistrement de la publicité foncière et enfin les émoluments du notaire, mais vous avez surtout à décaisser l’impôt de plus-value constatée.
Cette imposition, qui a comme assiette la plus-value enregistrée entre la valeur nette comptable dans les livres de l’emprunteur, dans l’exemple que j’ai cité 20 et la valeur vénale 100 à laquelle le bien est cédé au crédit bailleur. Cette plus-value de 80, générera un impôt de 24, et in fine vous ne disposerez d’un financement que de 76 sur un financement accordé de 100
Alors que si vous faite un crédit classique, garanti par une fiducie sur un immeuble, vous bénéficiez du régime de la neutralité et transparence fiscale, c’est-à-dire que c’est fiscalement neutre pour l’emprunteur Dernièrement un directeur des engagements d’une banque me disait qu’il était ravi de pouvoir suggérer à ces chargés d’affaires l’utilisation de la fiducie comme sûreté lorsque ceux-ci prétendaient, à juste titre, que la mise en place d’un sale et lease back n’était pas possible au regard des coûts fiscaux et que dans ces conditions il fallait se résoudre à ne demander qu’une simple hypothèque sur les biens ;
Et pour reprendre sa phrase « ça ne coûte pas cher fiscalement pour l’emprunteur, et ça nous permet, nous banquier d’être mieux garantis ».
Aujourd’hui, je peux vous assurer qu’on signe un grand nombre de dossier de ce type pour permettre aux banques d’avoir des garanties un peu plus solides que l’hypothèque ou le privilège de prêteur de deniers.
Propos recueillis par Pauline Vigneron et Cyprien de Girval