Le prepack cession en 6 chroniques, par Arnaud Pédron, avocat directeur au sein de la ligne de services « Entreprises en Difficulté » du cabinet Taj. A travers cette quatrième chronique, Arnaud Pédron revient sur la seconde phase du prepack cession qui consiste à mettre en oeuvre la reprise dans le cadre d’une procédure collective.
Comme évoqué dans la chronique N°3, lorsqu’au moins une offre de reprise est finalisée en phase 1, les parties [vendeur – candidat repreneur – mandataire ad hoc ou conciliateur] peuvent envisager de passer à la seconde phase du prepack cession, celle de sa mise en œuvre.
Quels sont les prérequis pour que la passerelle entre la procédure amiable et la procédure collective puisse fonctionner ?
Offres de reprise « satisfaisantes » et remplissant des conditions légales
Selon l’article L.642-2 I alinéa 2 du Code de commerce, les offres de reprise doivent répondre aux critères cumulatifs suivants :
- Avoir été « formulées dans le cadre des démarches effectuées par le mandataire ad hoc ou le conciliateur », donc lors de la phase 1 du prepack cession
- Remplir les conditions légales habituelles à toute offre de reprise déposée en vue d’un plan de cession qui sont visées par le II de l’article L.642-2, à savoir être écrites et comporter les neuf indications suivantes :
« 1° De la désignation précise des biens, des droits et des contrats inclus dans l’offre ;
2° Des prévisions d’activité et de financement ;
3° Du prix offert, des modalités de règlement, de la qualité des apporteurs de capitaux et, le cas échéant, de leurs garants. Si l’offre propose un recours à l’emprunt, elle doit en préciser les conditions, en particulier de durée ;
4° De la date de réalisation de la cession ;
5° Du niveau et des perspectives d’emploi justifiés par l’activité considérée ;
6° Des garanties souscrites en vue d’assurer l’exécution de l’offre ;
7° Des prévisions de cession d’actifs au cours des deux années suivant la cession ;
8° De la durée de chacun des engagements pris par l’auteur de l’offre ;
9° Des modalités de financement des garanties financières envisagées lorsqu’elles sont requises au titre des articles L. 516-1 et L. 516-2 du code de l’environnement. »
- Etre satisfaisantes
Le critère de satisfaction est en pratique vérifié au vu du rapport du mandataire ad hoc ou du conciliateur.
Comme nous le verrons dans la chronique N°6, pour justifier le passage de la phase 1 à la phase 2 du prepack cession, les offres de reprise doivent effectivement être véritablement abouties et satisfaisantes sur tous leurs éléments, notamment en terme de (i) niveau d’emploi sauvé, (ii) de pérennité et (iii) de prix offert et ne pas être assorties de conditions suspensives.
Une « publicité suffisante de la préparation de la cession »
Un autre article du Code de Commerce, l’article R.642-40 alinéa 4 ajoute une autre condition.
Avant de valider le passage à la phase 2 du prepack cession, le Tribunal de Commerce doit également vérifier que le mandataire ad hoc ou le conciliateur a bien accompli les démarches pour assurer une « publicité suffisante » de la préparation de la cession compte tenu de la « nature de l’activité ».
Cette condition est pour le moins laconique et floue.
Par exemple en pratique, en présence d’un marché concurrentiel nécessitant une cession rapide (urgence pour éviter une dégradation de l’exploitation et une dépréciation des actifs), le niveau d’exigence sur la publicité effectuée sera moins élevé qu’en présence d’un marché fermé avec une faible probabilité de trouver des repreneurs (nécessité de faire un maximum de démarches pour trouver un repreneur).
Cette exigence de publicité suffisante déjà abordée dans la chronique N°3 sera à nouveau évoquée dans la chronique N°6 (difficultés rencontrées en pratique).
L’entreprise cible doit être en cessation des paiements
Pour pouvoir profiter de cette passerelle et mettre en œuvre la phase 2 du prepack cession, le dirigeant doit demander au Tribunal de Commerce l’ouverture d’une procédure collective, c’est le dépôt de bilan.
Pour que la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire avec poursuite d’activité puisse être ouverte, la société cible doit apporter la preuve qu’elle est insolvable – donc en état de cessation des paiements – au moment du passage de la phase 1 à la phase 2 du prepack cession.
Il est donc important de bien programmer à l’avance le passage de la phase 1 à la phase 2 en tenant compte des prévisions de trésorerie et des contraintes liées aux conditions d’ouverture de la procédure amiable de prévention des difficultés (mandat ad hoc ou conciliation) qui constitue le socle de la phase 1 du prepack cession pour éviter de déposer trop tôt la déclaration de cessation des paiements :
– Dans le cas du mandat ad hoc, l’entreprise cible ne doit pas être en cessation des paiements
– Dans le cas de la conciliation, l’entreprise cible peut déjà être en cessation des paiements, mais depuis moins de 45 jours
A l’inverse, cette déclaration de cessation des paiements ne doit pas être déposée plus de 45 jours après la date de cessation des paiements, à défaut les dirigeants de l’entreprise cible s’exposeraient à des sanctions, l’interdiction de gérer notamment.
La maîtrise du calendrier et des prévisions de trésorerie est donc très importante pour pouvoir respecter cette fenêtre de tir.
Le feu vert du Tribunal de Commerce
Le Tribunal de Commerce recueille l’avis du Procureur de la République et si toutes ces conditions sont remplies, il peut décider de valider le passage de la phase 1 à la phase 2 du prepack cession, c’est-à-dire de ne pas faire d’appel d’offre ni fixer de date de limite de dépôt des offres de reprise (exception aux règles du plan de cession classique).
C’est ici que se situe le principal intérêt de la passerelle créée par le prepack cession entre la procédure amiable et la procédure collective.
Il s’agit d’une simple faculté et non d’une obligation pour le Tribunal de Commerce.
Quand bien même les conditions visées ci-dessus seraient toutes remplies, le Tribunal de Commerce peut tout à fait vouloir décider de ne pas appliquer le prepack cession.
Le Tribunal de Commerce dispose donc d’un véritable pouvoir d’appréciation souverain.
Le premier objectif recherché par tout candidat repreneur ayant déposé une offre de reprise en phase 1 est d’éviter au maximum d’être mis en concurrence avec d’autres candidats repreneurs et de mettre toutes les chances de son côté pour que le Tribunal de Commerce le choisisse très rapidement comme le repreneur officiel.
Le candidat repreneur jouit ici d’une certaine primauté à défaut d’une exclusivité qui serait contraire avec les exigences de transparence.
On touche ici au point sensible du prepack cession, ses détracteurs mettant souvent en avant un risque de cession judiciaire à huis clos.
Le second objectif recherché par tout candidat repreneur est de profiter de cette rapidité pour limiter au maximum la perte de valeur de l’entreprise reprise.
Le fait que l’administrateur judiciaire ne publie pas d’appel d’offre et qu’aucune date limite de dépôt des offres ne soit fixée participent à ce double objectif d’efficacité et de rapidité de la phase 2 du prepack cession.
Mais que se passe-t-il si le Tribunal de Commerce refuse d’appliquer le prepack cession dans sa phase 2 ?
Dans cette hypothèse, le Tribunal de Commerce ou l’administrateur judiciaire fixe une date limite de dépôt des offres de reprise (en pratique entre 2 semaines et 2 mois) et, le cas échéant, une date d’audience d’examen des offres de reprise.
C’est par exemple ce qui s’est passé dans le dossier DOUX. Dans son jugement du 4 avril 2018 d’ouverture de la liquidation judiciaire avec poursuite d’activité, le Tribunal de Commerce de Rennes a fixé la date limite de dépôt des offres de reprise au 14 avril et celle de l’audience d’examen des offres au 15 mai en vue d’un délibéré le 18 mai.
Un déroulé en plusieurs étapes
Dans sa seconde phase, le prepack cession suit cette chronologie :
- Demande d’ouverture de la procédure collective (dépôt de la déclaration de cessation des paiements)
- Audience au Tribunal de Commerce
Lors de cette audience, le Tribunal de Commerce analyse la demande d’ouverture de la procédure collective et procède à l’audition du mandataire ad hoc ou du conciliateur qui aura préalablement déposé un rapport.
- Avis du Procureur de la République
Nous l’avons vu, avant toute approbation du prepack cession, le Tribunal de Commerce doit recueillir cet avis.
L’évocation de cette étape nous permet d’insister sur le fait que le rôle du Procureur de la République est véritablement justifié.
Son implication permet d’écarter les dérives possibles du prepack cession dans sa phase 2 de mise en œuvre comme l’opacité, la connivence, l’exclusivité et donc le risque d’une cession judiciaire à huis clos.
Le Ministère Public est en effet un garant de la régularité des opérations, il s’assure notamment que les exigences de transparence, d’intérêt général et de qualité de tiers des candidats repreneurs sont bien toutes respectées.
L’avis du Ministère Public est d’ailleurs souvent suivi par le Tribunal de Commerce.
Par exemple, dans le dossier du volailler DOUX, plusieurs offres de reprise avaient été déposées par différents candidats repreneurs dans le cadre de la phase 1. Les dirigeants du groupe DOUX ont ensuite demandé au Tribunal de Commerce de Rennes l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire avec poursuite d’activité et la mise en œuvre de la phase 2 du prepack cession. Si dans son jugement du 4 avril 2018, le Tribunal de Commerce de Rennes a bien accepté d’ouvrir une procédure de liquidation judiciaire avec poursuite d’activité, il a décidé de ne pas mettre en place la passerelle et donc de ne pas valider la phase 2 du prepack cession. Dans ce dossier, le Tribunal de Commerce de Rennes a suivi l’avis du Ministère Public repris dans les termes suivants dans son jugement : « les offres actuelles, bien qu’intéressantes, ne sont pas abouties, en conséquence il souhaite que la recherche de repreneurs soit ouverte plus largement pendant un délai suffisant ».
- Jugement d’ouverture de la procédure collective : confirmation de la phase 2 du prepack cession et désignation des organes de la procédure
La particularité du prepack cession conduit à ce que le Tribunal de Commerce doive fixer, dès le jugement d’ouverture de la procédure collective, la date de l’audience d’examen des offres de reprise.
En pratique, un délai de 3 à 5 semaines est généralement constaté entre le jugement d’ouverture et l’audience d’examen des offres de reprise.
Par exemple dans le dossier FRAM, le redressement judiciaire a été prononcé le 30 octobre 2015 et l’audience d’examen des offres a été programmée le 18 novembre 2015.
La désignation du mandataire ad hoc ou du conciliateur (celui qui est intervenu en phase 1) en qualité de liquidateur judiciaire ou d’administrateur judiciaire en phase 2 est préférable, par souci d’efficacité, afin d’assurer une continuité de traitement par le même professionnel de l’insolvabilité.
Dans cette hypothèse, seule subsiste sa rémunération calculée au titre de la procédure collective (pas de double rémunération) ce qui est de nature à inciter le Tribunal de Commerce à désigner le conciliateur en qualité de liquidateur ou d’administrateur judiciaire.
- Possibilité offerte à d’autres candidats repreneurs de déposer une offre de reprise
Au plus tard 8 jours avant l’audience d’examen des offres de reprise, des candidats repreneurs qui ne se sont pas manifestés dans la phase 1, peuvent formuler leurs offres de reprise.
Ces nouvelles offres sont souvent hostiles à celles déjà déposées en phase 1, voir non crédibles ou non confirmées le jour de l’audience d’examen des offres.
C’est par exemple ce qui est arrivé dans le dossier DOUX.
Ces offres de reprise de dernière minute peuvent néanmoins contraindre les candidats repreneurs de la phase 1 à devoir améliorer leurs offres.
- Rapport de l’administrateur ou du liquidateur judiciaire sur les offres de reprise et information des salariés
- Au plus tard 2 jours ouvrés avant l’audience d’examen des offres de reprise : dernière possibilité d’améliorer les offres de reprise
- Au plus tard 1 jour ouvré avant l’audience d’examen des offres de reprise : avis des instances représentatives du personnel
- Audience d’examen des offres de reprise
- Jugement arrêtant le plan de cession
Le processus de choix des repreneurs par le Tribunal de Commerce est le même que celui habituellement appliqué dans le cadre d’un plan de cession de cession classique.
Le critère de la sauvegarde de l’emploi demeure, de loin, la priorité des tribunaux de commerce.
Viennent ensuite les critères de pérennité du projet de reprise et de prix offert.
La décision du Tribunal de Commerce acceptant d’appliquer la phase 2 du prepack cession ne l’engage pas pour autant à devoir valider l’offre ou les offres de reprises formulées dans la phase 1 du prepack cession.
Au moment de statuer sur l’arrêté du plan de cession, le Tribunal de Commerce peut rejeter toutes les offres de reprise, y compris celles qui auront été préparées et formulées dans la phase 1.
Le Tribunal de Commerce peut renvoyer l’audience à une date ultérieure, par exemple si une nouvelle offre jugée sérieuse mais non finalisée donc irrecevable en l’état a été déposée avant le délai de 8 jours.
Sur l’auteur : Arnaud Pédron est avocat directeur au sein de la ligne de services « Entreprises en Difficulté » du cabinet Taj.
Il intervient dans tous les domaines du droit des entreprises en difficulté (prévention et procédures collectives) : pour l’entreprise en difficulté elle-même, ses actionnaires ou dirigeants, son repreneur ou ses créanciers.
Pour en savoir plus : Arnaud Pédron
Du même auteur :
- Chronique #1 : le prepack cession, un outil d’optimisation de la reprise des actifs et de l’activité d’une entreprise sous performante
- Chronique #2 : Prepack plan et prepack cession, points communs et différences
- Chronique #3 : Le prepack cession, une conception en phase amiable du projet de reprise
- Chronique #5 : Le prepack cession, un outil hybride et tendance pour reprendre une entreprise en difficulté
- Chronique #6 : Contraintes et difficultés du prepack cession
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