Le parcours atypique de Björn Schlosser a de quoi attirer l’attention. Ce docteur en physico-chimie est devenu, au fil des années et des expériences, un expert du restructuring et du private equity. Allemand francophile et parfaitement francophone, il a toujours entretenu un lien fort avec notre pays, et se lance aujourd’hui dans une nouvelle aventure : prolonger en France la success story du fonds Private Assets, qui s’est imposé en Allemagne comme un acteur notable du private equity.
L’entreprise basée à Hambourg, dont la capitalisation boursière évaluée autour des 30 millions d’euros, s’appuie sur une équipe de dirigeants qui se connaissent depuis de longues années, et qui sont rompus aux projets de restructuration et aux opérations de capital-investissement. Pour Fabrice Girard, associé du cabinet d’avocats parisien Enthoven Girard, Private Assets « s’inscrit véritablement dans une logique de retournement et de travail de ce retournement, loin de certains opportunismes que l’on peut parfois observer ». L’ouverture du bureau parisien par Björn Schlosser représente la première étape de l’internationalisation d’une entreprise qui ne cache pas ses ambitions, notamment sur le marché européen, et qui souhaite reproduire les recettes qui ont fonctionné outre-Rhin. « Le cœur de notre philosophie est la création de valeur dans les sociétés que nous rachetons » explique Björn Schlosser. Ainsi, en plus de restructurer ses acquisitions sur les plans financiers et opérationnels, Private Assets cherche toujours à aller plus loin, en réfléchissant aux moyens de disrupter les business models en question, notamment par le prisme du digital. Raison pour laquelle le fonds s’adresse moins à des startups en forte croissance qu’à des entreprises, souvent industrielles, qui sous-performent ou qui font face à des situations particulières : carve-out, succession, mandat ad hoc, redressement judiciaire…
Une expérience du retournement acquise outre Rhin
Pour développer cette valeur, Private Assets s’inscrit dans un temps relativement long. « Une entreprise reste dans notre portefeuille entre trois et sept ans ». Pour chaque acquisition, une filiale est créée pour devenir la holding de l’entreprise rachetée. Un gérant (appelé co-entrepreneur) est placé à la tête de l’entreprise, et est intéressé en fonction de la valeur qu’il parvient à développer.
Mais surtout, c’est l’organisation même de cet acteur, atypique pour la France, mais plus répandue en Allemagne, qui lui permet d’accompagner au mieux ses acquisitions dans leur développement. Ainsi, en plus de ses experts en M&A, Private Assets possède ses propres équipes de consultants : des spécialistes de l’opérationnel (achats, RH, supply chain, finance, restructuring, etc.), et du digital, qui réfléchissent avec les entreprises du portfolio sur les opportunités disruptives pour leurs business models. Ces deux équipes (une quinzaine de consultants), travaillent exclusivement avec les entreprises du portfolio, et peuvent être ponctuellement renforcées par l’apport de consultants externes.
Faire travailler ensemble le M&A et le consulting n’a rien d’étonnant pour Björn Schlosser, qui connait ces deux mondes sur le bout des doigts. Après avoir lancé sa carrière chez Unilever dans le développement de produits cosmétiques, il a rejoint Droege Company (à l’époque deuxième acteur du conseil en Allemagne derrière Roland Berger) où il s’est spécialisé notamment dans le restructuring. Il y est resté onze ans jusqu’à en être devenu associé Il fait ensuite ses armes dans le private equity chez Aurelius, où il reste neuf ans, passés essentiellement sur le terrain en tant que PDG d’entreprises. Il dirige notamment, pendant sept ans, la restructuration in bonis d’Isochem en France (100 millions de chiffre d’affaires), une aventure qui s’était soldée par une procédure de redressement judiciaire en raison de la perte soudaine d’un gros client. « Nous étions tout de même parvenus à un plan de cession qui préservait 95% des emplois, ce qui, dans ce secteur, était une prouesse », rapporte Fabrice Girard, alors conseil d’Isochem. Björn Schlosser dirige ensuite d’autres groupes importants en Italie, en Allemagne.
Des expériences de terrain qui ont permis à cet investisseur-entrepreneur de faire montre de ses qualités de leader, « capable de prendre des décisions fortes, qu’il assume, mais jamais sans avoir travaillé au préalable le sujet en profondeur » se rappelle Fabrice Girard. Et sans pour autant chercher à prendre la lumière. « Il ne marche pas sur les platebandes de ses collaborateurs. Il les met en avant, les soutient et réfléchit avec eux. Il ne fait pas partie de ces managers de transitions omnipotents. »
Björn Schlosser retourne ensuite chez Droege, qui a cessé ses activités de consulting et s’est reconverti dans le private equity. Là, en tant que senior vice-président, il est responsable du développement d’un portfolio de 12 milliards d’euros. A noter également une expérience de deux ans à la tête de Trenkwalder Group (1 milliard de chiffre d’affaires), dont il dirige la restructuration et le retournement pendant la crise covid, et un passage chez Mutares France, en tant que directeur opérationnel. Un parcours riche, qui a fait de lui, en 25 années d’expérience, un expert de la restructuration, de la création de valeur, aussi bien par le prisme du conseiller, de l’investisseur, que de l’homme d’action et de terrain.
Un nouvel acteur français du retournement en small et midcap
Dans la lignée de ses activités outre-Rhin, Private Assets France ambitionne de se faire une place auprès d’industriels réalisant entre 20 et 200 millions d’euros de chiffre d’affaires (avec un « sweet spot » autour de 100 millions d’euros). En plus de la chimie et de ses dérivés, les dirigeants de Private Assets sont particulièrement à l’aise dans les dossiers d’industrie lourde où « ils savent trouver des débouchés pour les produits » assure Fabrice Girard. Le fonds ne se ferme pas pour autant aux autres secteurs, notamment à certains types de services. « Nous voulons des business models qui fonctionnent », tempère le dirigeant, qui confirme ainsi son désintérêt pour un les modèles gourmands en capitaux mais qui peinent à atteindre la rentabilité.
Puisque l’on ne change pas un modèle qui marche, Private Assests France reproduira le format organisationnel de la maison mère allemande, avec des experts du M&A, et des consultants dédiés à la création de valeur dans les sociétés acquises, possédant de fortes expertises fonctionnelles plutôt que sectorielles. « Nous avançons petit à petit, en mode startup. L’objectif à un an serait d’avoir deux consultants et deux experts du M&A. »
Des discussions sont déjà en cours pour une première acquisition, qui viendrait rejoindre les dix participations du portefeuille actuel (neuf entreprises en Allemagne, une en Espagne). A l’écoute du marché, Private Assets France cible des entreprises dont le prix de vente peut atteindre les 30 millions d’euros.
Et les différences culturelles entre la France et l’Allemagne, qui pourraient contrarier les ambitions de développement de Private Assets ? En aucun cas, selon Fabrice Girard : « En plus d’être francophile et francophone, Björn a une vraie culture européenne, et cela a toujours été quelque chose de positif dans les dossiers qu’il a été amené à traiter. Il a un côté caméléon qui lui permet de s’acclimater et de s’intégrer dans un environnement différent de sa culture natale, comme de savoir parler à un avocat autant qu’à un ouvrier ».
Par Théo Sztabholz, écrivain