La subsidiarité de l’intervention de l’AGS dans le paiement des créances salariales en redressement et en liquidation judiciaire fait l’objet d’un contentieux important lié au refus de l’AGS d’avancer les fonds lorsqu’elle estime que le mandataire judiciaire détient les fonds suffisants pour payer ces créances. Etienne Masson et Laurent Grisoni, avocats chez GM Associés nous apportent leur éclairage sur cette question à l’aune de l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Toulouse le 21 janvier 2023 (n°2023/40, RG n° 22/02135)
Petit rappel pour les spécialistes du restructuring qui ne sont pas forcément familiers des règles d’intervention de l’AGS !
L’article L 3253-20 du Code du travail lequel dispose en son 1er alinéa que : « si les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l’expiration des délais prévus par l’article L 3253-19, le mandataire judiciaire demande, sur présentation des relevés, l’avance des fonds nécessaires aux institutions de garantie mentionnées à l’article L 3253-14 ».
La loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 a introduit un second alinéa à l’article L 3253-20 du Code du travail au terme duquel : « Dans le cas d’une procédure de sauvegarde, le mandataire judiciaire justifie à ces institutions, lors de sa demande, que l’insuffisance des fonds disponibles est caractérisée. »
Ainsi, c’est uniquement lorsque l’entreprise fait l’objet d’une procédure de sauvegarde que le mandataire judiciaire doit justifier de l’insuffisance des fonds disponibles.
La subsidiarité de l’intervention de l’AGS dans le paiement des créances salariales en redressement et en liquidation judiciaires fait l’objet d’un contentieux important lié au refus opposé par l’AGS d’avancer les fonds lorsqu’elle estime que le mandataire judiciaire détient les fonds suffisants pour payer ces créances.
L’arrêt du 21 janvier 2023 commenté ici reprend en la complétant une motivation limpide dégagée par plusieurs Cour d’Appel à l’occasion de décisions rendues depuis 18 mois dans un contexte très similaire.
Dans ces affaires, un plan de cession avait été arrêté et concomitamment, la procédure de redressement avait été convertie en liquidation judiciaire. Le mandataire judiciaire, estimant ne pas avoir de fonds disponibles suffisants, a établi un relevé de créances salariales qu’il a transmis à l’AGS en sollicitant leur règlement. L’AGS a refusé, estimant que le prix de cession permettait de couvrir les créances salariales.
Dans un premier arrêt du 9 septembre 2022 (n°22/01754), la Cour d’Appel de Toulouse avait déjà rappelé que l’application du principe de subsidiarité ne confère pas à l’AGS de droit à contrôle sur les fonds disponibles de la procédure.
La Cour s’est alors appuyée sur la distinction opérée par les deux alinéas de l’article L 3253-20 du Code du travail pour considérer qu’« en matière de sauvegarde, le mandataire doit a priori justifier de l’insuffisance des fonds, et la réalité de cette insuffisance peut être contestée par l’AGS devant le juge-commissaire. En revanche, en matière de redressement et de liquidation judiciaires, l’insuffisance des fonds est présumée, de sorte que son appréciation est confiée à la seule appréciation du mandataire, afin de ne pas retarder le versement des sommes dues aux salariés ».
La Cour d’Appel de Paris, dans un arrêt du 13 octobre 2022 (n° 21/08986) tout comme la Cour d’Appel de Limoges dans un arrêt en date du 14 juin 2022 (n°21/01968), ont également retenu ce principe en caractérisant l’existence d’une présomption d’absence de fonds disponibles :
« En application des dispositions du premier alinéa il n’appartient pas au mandataire judiciaire de justifier l’absence de fonds disponibles, celui-ci bénéficiant d’une présomption d’absence de fonds disponibles qui découle d’une part de l’état de cessation des paiements qui entraine l’ouverture de la procédure collective et d’autre part du mandat qui est confié par le tribunal aux organes de la procédure collective qui seuls peuvent conclure à cette indisponibilité en prenant en compte la situation de l’entreprise dans sa globalité.
En l’absence de tout dispositif prévu par le texte permettant la remise en cause de cette présomption dans le cas d’une demande d’avance effectuée dans le cadre d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, l’AGS est mal fondée, à ce stade de la procédure de demande d’avance de fonds, à remettre en question la présomption d’absence de fonds disponibles. »
Dans l’arrêt du 21 janvier 2023, la cour d’appel de Toulouse, a eu à juger d’une espèce similaire à celle de l’arrêt précédent.
Le mandataire judiciaire a sollicité de l’AGS une avance pour les salaires antérieurs aux jugements de cession et de liquidation et les congés payés antérieurs. L’AGS a opposé un refus, considérant que la cession était définitive et que rien ne s’opposait au paiement des créances salariales par le liquidateur judiciaire, celui-ci disposant des fonds de la cession et de la trésorerie nécessaire.
La Cour d’Appel de Toulouse confirme d’abord sa jurisprudence au sujet des avances de fonds soumises à l’AGS lors d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire :
« La vérification de l’existence de fonds disponibles relève de la seule prérogative du mandataire judiciaire qui établit, s’il estime que les conditions sont réunies, le relevé de créances déclenchant l’obligation pour L’UNEDIC AGS-CGEA d’avancer les fonds nécessaires. ».
La Cour rappelle que « la sanction de l’absence de respect par le liquidateur de la subsidiarité ne peut être obtenue qu’a posteriori, par le droit au remboursement de ces avances assorties du superprivilège dont elles bénéficient, ainsi que par la mise en jeu de la responsabilité du mandataire pour avoir présenté un relevé de créances aux fins d’obtenir des avances en violation de l’article L. 3253-20 du code du travail «
Elle va cependant beaucoup plus loin en jugeant que l’AGS ne bénéficie d’aucun privilège spécifique de remboursement sur les premières rentrées de fonds disponibles qui est un droit propre attaché à la personne du salarié.
En d’autres termes, l’AGS demeure un créancier de la procédure comme les autres auquel s’applique les règles de paiement telles que déterminées suivant l’ordre fixé par les dispositions du Code de commerce.
« Ce texte (article L625-8) instaure, au bénéfice du seul salarié, un privilège spécifique dans les limites de l’article L3253-2 du code du travail, par dérogation au principe d’interdiction des paiements instauré à l’ouverture des procédures collectives pour les créances antérieures, avec versement sur les premières rentrées de fonds. Il s’agit d’un droit attaché à la personne du salarié pour lequel l’AGS ne peut bénéficier d’une subrogation sans remettre en cause les répartitions de l’actif distribuable dans l’ordre défini par l’article L643-8 du code de commerce. »
Il résulte de cet arrêt :
- Qu’il appartient donc au seul mandataire judiciaire d’apprécier, sous sa responsabilité, la disponibilité ou non des fonds de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
- Que les règles de répartition des fonds, sous la responsabilité du mandataire judiciaire, ne connaissent aucune dérogation quel que soit le créancier concerné.
Le débat n’est cependant pas clos : il est inévitable que cet arrêt sera également frappée d’un pourvoi en cassation (comme d’ailleurs l’arrêt de cette même Cour du 9 septembre 2022). En cas de confirmation par la Cour de cassation, il est à craindre l’émergence d’un nouveau contentieux initié par l’AGS visant à mettre en cause la responsabilité des mandataires ayant sollicité, à tort, des avances en violation du principe de subsidiarité.
Par Etienne Masson et Laurent Grisoni