Le droit des faillites a toujours fait peur. Sujet tabou pour les chefs d’entreprises en difficulté, qui n’osent pas en parler, sujet de crispation pour les partenaires commerciaux et financiers, qui craignent de ne pas être payés ou remboursés, et sujet sensible pour les politiques, pour qui le spectre d’une nouvelle crise économique est source de vives inquiétudes.
Si historiquement la principale préoccupation du droit des faillites était effectivement de châtier le débiteur insolvable, les nombreuses réformes qui ont été adoptées dans le dernier quart de siècle ont profondément redéfini ses objectifs.
L’anticipation, l’accompagnement et le redressement de l’entreprise se sont progressivement imposés comme les finalités d’un droit des entreprises en difficulté qui se veut aujourd’hui attrayant.
Ce changement de paradigme s’est accompagné d’une évolution des mentalités, et dans une certaine mesure d’une humanisation et d’une dédramatisation des procédures collectives (procédure de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires).
Pour autant, faire faillite reste une épreuve difficile, au plan psychologique comme financier, tant pour le chef d’entreprise et son entourage que pour ses créanciers.
Ces derniers se trouvent en effet fortement impactés par les effets de l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de leur co-contractant. Il leur est notamment fait interdiction d’agir en justice pour recouvrer les sommes d’argent qui leur sont dues. Ils doivent, par ailleurs, se soumettre à une procédure qui est collective, technique, contraignante et jalonnée de délais, qu’il convient impérativement de respecter pour espérer, à terme, être payé.
Recouvrer sa créance dans le cadre des opérations de la procédure collective est souvent incertain et systématiquement long, voire très long dans l’hypothèse où un plan d’apurement des dettes est arrêté. La durée de ces plans peut en effet permettre d’échelonner le règlement d’une créance jusqu’à dix années…
« Il est fréquent que la seule valeur d’une société en faillite réside dans ses actifs matériels »
Certains créanciers parviennent toutefois, en toute légalité, à échapper aux effets contraignants de la procédure collective. Il s’agit notamment des créanciers propriétaires qui peuvent agir en revendication de leurs matériels détenus par le débiteur défaillant, ou obtenir en lieu et place le règlement de leur créance.
Ce traitement respectueux du droit de propriété justifie l’engouement des clauses de réserve de propriété, jusqu’au complet paiement du prix de vente, dans les relations contractuelles entre partenaires commerciaux habituels ou non.
De telles stipulations contractuelles doivent impérativement faire l’objet d’un accord écrit entre les parties, au plus tard au moment de la livraison. Elles permettent d’anticiper efficacement l’éventuelle défaillance de l’acquéreur du matériel ainsi que l’ouverture d’une procédure collective à son égard.
Il est fréquent que la seule valeur d’une société en faillite réside dans ses actifs matériels.
Sous réserve de respecter le formalisme imposé par le Code de commerce, les créanciers qui rapportent la preuve de leur droit de propriété sur l’un ou plusieurs de ces actifs, seront autorisés à le(s) récupérer en exerçant une action en revendication ou restitution. En cas de revente de leur bien, avant qu’ils ne l’aient récupéré, ils pourront parfois appréhender le prix de revente. Par ailleurs, dans l’hypothèse où les biens revendiqués seraient nécessaires à la poursuite d’activité du débiteur, le Tribunal peut autoriser le paiement immédiat et intégral de la créance du créancier revendiquant.
Quels biens peut-on revendiquer ?
Conformément aux dispositions de l’article L.624-16 du Code de commerce, peuvent notamment être revendiqués les biens meubles remis à titre précaire au débiteur ou ceux vendus avec une clause de réserve de propriété. Dans tous les cas, ces biens doivent se retrouver « en nature » chez le débiteur à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective.
Cela signifie que la revendication n’est pas possible en cas de transformation matérielle du bien qui lui a fait perdre sa nature, c’est-à-dire lorsque ses caractères et ses propriétés ont été modifiés. C’est le cas, par exemple, de la laine transformée en chandail, ou des animaux de boucherie livrés vivants puis passés à l’abattage. Le bien n’étant plus le même, il ne peut être revendiqué.
La revendication d’un bien reste cependant possible, même en cas d’assemblage ou d’incorporation à un autre bien, dès lors que la séparation de ces biens peut être effectuée sans qu’ils ne subissent un dommage (par exemple un moteur de navire peut être démonté, tout comme des pneumatiques installés sur un véhicule).
« La clause de réserve de propriété permet aux créanciers propriétaires revendiquant de sauver les meubles »
Quel formalisme la demande de revendication doit-elle impérativement respecter ?
Le formalisme de la demande de revendication d’un bien implique une vigilance accrue de la part du créancier revendiquant, son non-respect entrainant en effet l’inopposabilité du droit de propriété et donc l’impossibilité de récupérer son bien.
Seul le propriétaire de la chose détenue, et les personnes titulaires d’une délégation de pouvoirs rédigée de manière suffisamment précise, peuvent agir en revendication, dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure collective, en adressant une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, selon le cas :
- Dans les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire : à l’administrateur judiciaire s’il en a été désigné un ou, à défaut, au débiteur. Une copie de cette demande doit être envoyée au mandataire judiciaire ;
- Dans les procédures de liquidation : au liquidateur, avec une copie à l’administrateur judiciaire s’il en a été désigné un.
A défaut d’accord ou d’acquiescement dans le mois qui suit la réception de cette demande, le créancier revendiquant doit impérativement porter sa demande devant le juge-commissaire qui a été désigné par le Tribunal. Il dispose pour se faire d’un nouveau délai d’un mois.
Ces délais sont courts et leur non-respect est sévèrement sanctionné, sauf pour les créanciers titulaires d’un contrat publié, principalement le crédit bailleur, qui peuvent agir en restitution du matériel objet de ce contrat sans contrainte temporelle.
La protection du droit de propriété dans le cadre du droit des entreprises en difficulté rend ainsi particulièrement intéressante l’utilisation des clauses de réserve de propriété comme garantie du bon règlement de sa créance. En effet, ce mécanisme contractuel permet aux créanciers propriétaires revendiquant de « sauver les meubles », leurs meubles, quand la grande majorité des créanciers est privée de tout moyen d’action et doit s’armer de patience dans l’attente d’un éventuel règlement.
Sur l’auteur : Benjamin Gallo est avocat au barreau de Paris. Il intervient sur des problématiques liées au droit des entreprises en difficulté, en défense pénale et en contentieux commercial.
Pour aller plus loin : Benjamin Gallo