Mayday est allé à la rencontre du fondateur de Big Moustache, Nicolas Gueugnier qui a risqué de mettre la clé sous la porte en octobre 2016, faute de financements. Il rédige alors un post sur Linkedin qui sera lu par plus de 80 000 personnes et permettra à Big Moustache de rebondir en attirant de potentiels investisseurs et en faisant exploser les ventes de ses produits de rasage en quelques jours. Nicolas a accepté de partager cette expérience à tous ceux qui ont été ou pourraient être confrontés à ce type d’épreuve.
Mayday : Pourquoi avez-vous décidé d’entreprendre ?
Nicolas Gueugnier : J’ai grandi dans contexte familial très entrepreneurial. J’ai toujours voulu entreprendre, soit en créant, soit en rejoignant un projet dans sa phase de création. J’ai commencé par étudier la Finance à Dauphine et suis allé travailler en fusion-acquisition pendant 6 ans dans un fonds d’investissement qui investit dans des PME française. J’ai beaucoup appris grâce à cette expérience professionnelle qui m’a permis de côtoyer des entrepreneurs et de les suivre dans leur plan de développement.
J’ai alors cherché à rejoindre un projet entrepreneurial sur une mission opérationnelle et me suis heurté au fait que j’avais une casquette de financier… J’ai commencé à discuter avec un copain du modèle de Dollar Shave Club, lancé début 2012 aux Etats-Unis pour disrupter le marché du rasage américain.
Mayday : Pouvez-vous nous rappeler la genèse de l’idée et l’activité de Big Moustache ?
NG : A l’issue de cette discussion, on étudie le marché du rasage en France et on se rend compte qu’il est assez similaire au marché américain : une grande distribution qui écrase tout, l’absence de digitalisation, des prix délirants et des habitudes de consommations mauvaises car c’est un produit pénible à acheter.
Nous voulons apporter une solution nouvelle sur le marché du rasage pour hommes avec une solution de vente en ligne de produits de rasage de qualité par système d’abonnement.
Mayday : Le développement d’un projet innovant comme Big Moustache nécessite des fonds importants, comment vous êtes-vous financés durant ces 3 premières années ?
NG : Fin 2013, nous lançons une campagne de financement participatif, notre projet est simple et c’est du BtoC. Nous parvenons à réunir 300 000€ qui doivent nous permettre de recruter un développeur web et de débloquer un premier budget d’acquisition clients.
« Une association a beau être difficile, partir seul sur un projet me semble aujourd’hui dangereux »
Mayday : A quel moment rencontrez-vous des difficultés ?
NG : On se lance à 5 en novembre 2012, je rejoins le projet à 100% fin mars 2013, un mois après le lancement du site. On rejoint l’incubateur Day One Entrepreneurs & Partners, on commence à avoir un premier millier de clients.
Fin 2014, nos droits au chômage touchent à leur fin, mon associé s’en va. Je suis seul à la barre. J’ai conscience qu’il ne faut pas que je reste seul, mais je pars la tête dans le guidon.
Début 2016, l’entreprise se développe tranquillement, on se paye un minimum, on arrive à faire grandir la marque mais je souhaite aller plus vite avec davantage de moyens. J’entreprends alors la recherche de nouveaux investisseurs.
Avant l’été 2016, un fonds qui gère plusieurs sites de e-commerce s’intéresse très sérieusement au projet mais tarde à me répondre, nous sommes alors à la fin de l’été. Dans le même temps, mon interlocuteur bancaire change, ma facilité de caisse m’est retirée… et en octobre 2016, le fonds refuse finalement de nous accompagner. Big Moustache est en état cessation des paiements.
Mayday : Avec le recul, quelle a été selon vous la cause de ces événements ? Y-a-t-il eu des signaux qui auraient pu vous alerter ou qui ont alerté votre banque et votre potentiel investisseur ? Pensez-vous que cette situation aurait pu être évitée, et si oui, de quelle façon ?
NG : Oui, j’ai commis des erreurs de jeunesse. Je n’ai sans doute pas présenté des Business Plans assez clairs et lisibles, focalisés sur l’acquisition clients qui aurait dû être notre cheval de bataille dès le début. Nous aurions dû financer cet axe bien plus tôt et davantage.
La seconde cause que j’identifie, elle est davantage liée à notre marché : nous étions seuls, sans concurrent français et certains fonds peuvent avoir tendance à ne regarder que ce qu’ils voient dans les journaux spécialisés ou à la télé. A l’époque, c’était le développement de la foodtech, des deautybox. Nous n’étions pas dans l’air du temps.
Enfin, j’étais seul à porter le projet. Une association a beau être difficile, partir seul sur un projet me semble aujourd’hui dangereux. »
« J’ai toujours souhaité me placer dans une démarche de transparence qui m’a d’ailleurs apporté beaucoup de soutien »
Mayday : Comment gère-t-on une telle crise qui impacte l’ensemble d’une entreprise et ses parties prenantes et comment annonce-t-on une telle nouvelle à ses salariés ?
NG : Avant l’été, j’anticipe et je préviens l’équipe que ça sent un peu le roussi, que je cherche des solutions mais qu’il n’y a rien de sûr à 100%. Certains trouvent un job et quittent l’aventure et nous sommes trois à rester avec la perspective d’être potentiellement rachetés par un acteur du e-commerce et de partir sur quelque chose de plus structuré.
Lorsque le fonds d’investissement me dit non, là c’est la fin. J’apprends la nouvelle en fin de journée, je suis seul. J’averti immédiatement mes actionnaires. Puis j’ai poursuivi la rédaction de mon post Linkedin jusqu’à le publier.
Le lendemain, j’annonce la nouvelle à mon équipe et à mes fournisseurs. Tous connaissaient la situation car j’ai toujours souhaité me placer dans une démarche de transparence qui m’a d’ailleurs apporté beaucoup de soutien. J’ai parlé et expliqué, j’ai intégré mes fournisseurs dans les discussions autant que mes actionnaires. Quant à l’équipe, elle était préparée, elle est restée engagée tout en cherchant naturellement à se protéger et à rebondir.
Mayday : Comment étiez-vous entourés pour gérer cette situation ? Y-a-t-il quelque chose que vous auriez aimé trouver sur votre route pour vous aider dans l’anticipation ou dans la gestion de cette phase délicate ?
NG : Une fois mon post Linkedin publié, je réponds aux commentaires et sollicitations. Mon incubateur me cherche des solutions qui sont pour moi des solutions vautours où des gens veulent faire les fonds de tiroir.
J’avais anticipé la liquidation et je n’en avais pas peur, j’étais prêt à passer à l’étape d’après. Pour ma part, j’ai manqué d’un conseil qui m’apporte le mode d’emploi pour essayer de fermer proprement ma société et qui m’accompagne sérieusement malgré le fait qu’il n’y avait aucun enjeu financier pour lui sur mon dossier.
Mayday : Les entreprises qui connaissent des difficultés n’en parlent pas, c’est l’omerta. Ne rien dire, n’est-ce pas prendre le risque de laisser les autres parler pour soi ?
NG : Parler de ses difficultés, c’est crucial. C’est en parlant que j’ai pu garder la confiance de mes équipes, de mes actionnaires historiques, de mes fournisseurs. C’est en m’exprimant que j’ai entraîné une dynamique collective qui a permis à Big Moustache de vivre quelques mois de plus, de trouver un nouvel actionnaire et de relancer l’aventure.
« Rebondir c’est identifier très vite ses erreurs et se replacer dans l’action en étant concentré sur ses sujets »
Mayday : La prise de risque conduit parfois à l’échec. Comment rebondir ?
NG : Je crois d’abord que toute personne qui se lance dans un projet entrepreneurial devrait faire le calcul des engagements qu’elle a pris à titre personnel dans le projet, pour bien cerner les conséquences d’un éventuel échec de son projet. Vous identifiez le risque, vous le mesurez et vous l’appréhendez mieux.
Dans ma situation, il y a deux étapes. La première lorsque j’apprends que le fonds ne viendra pas : je suis prêt arrêter parce que je pense qu’il ne faut pas être têtu et parce que je ne veux pas mettre en péril ma famille.
Néanmoins, j’ai toujours cru dans ce projet. Alors quand Sia Partners est arrivé et nous a accordé son soutien, j’ai tout de suite réenclenché. Dans cette situation, rebondir c’est identifier très vite ses erreurs et se replacer dans l’action en étant concentré sur ses sujets. Rebondir, c’est aussi se fixer un cap et s’y tenir. Il est possible d’avoir plusieurs objectifs, mais se placer en mode projet avec des plans d’actions. Il faut apprendre à dire non, à ne pas vouloir tout faire, à ne pas papillonner. Sia a été un vrai partenaire opérationnel.
Mayday : Grâce à la dynamique collective suscitée par votre situation à l’époque, l’aventure Big Moustache a pu se poursuivre, qu’avez-vous mis en œuvre pour repartir du bon pied ?
NG : Suite à mon post, le trafic sur le site explosait et j’ai lancé un message aux auditeurs de BFM en les invitant à essayer de nous sauver en achetant nos produits. Et ça a marché, nous avons eu les 30 000€ de commande dont nous avions besoin pour tenir. Je suis allé au Tribunal de commerce avec cette solution et j’ai obtenu un délai jusqu’au 31 décembre 2016. A ce moment-là, je paie l’URSSAF, les salaires et mes fournisseurs mais je sais aussi que j’ai 100 000€ de dettes fournisseurs accumulées, tout n’est donc pas gagné !
Sia Partners arrive un peu en même temps et c’est une super rencontre. Je lui explique pourquoi je suis dans le mur, les moyens dont j’ai besoin pour avancer (apurer le passif, développer un nouveau site internet car notre techno n’est plus adaptée, développer des produits et les stocker car j’achète de trop petites quantités et il y a des économies d’échelle à aller chercher, développer un réseau de boutiques et de barbiers car je ne veux plus être ambulant). Il me faut 500 000€ et je me sens en confiance. L’engouement suscité sur les réseaux sociaux appuie le discours, il y a quelque chose à faire avec cette marque.
En trois semaines tout est booké, et dès janvier nous rentrons directement dans le business, pied au plancher. On refait le BP et le plan d’action, on lance la refonte du site, on repositionne les produits, l’offre etc. On se donne des budgets d’acquisition online, on recrute une personne en marketing et un barbier qui était jusqu’à présent en Freelance. Nous faisons le point toutes les semaines avec Sia, ça a une valeur énorme
Mayday : Comment se porte Big Moustache aujourd’hui ?
NG : Nous nous étions fixés comme objectif que Big Moustache soit rentable fin 2017, ce qui a été le cas et c’est une vraie satisfaction ! Maintenant on essaie de franchir le prochain pallier qui consiste à se quitter en bon terme pour aller chercher la prochaine phase de développement que ne fera pas Sia parce que ce n’est pas son modèle.
Nous avons bien réussi à repositionner la marque : Big Moustache s’occupe des hommes, avec des produits et des services, en physique et en digital. Nous avons ouvert notre première boutique qui marche très bien et nous projetons d’en ouvrir une autre dans Paris.
« Je crois qu’il faut toujours anticiper et impliquer l’ensemble des parties prenantes dans ses difficultés sans rester dans le déni »
Mayday : Si vous n’aviez qu’un conseil à donner aux entrepreneurs ?
NG : J’ai deux conseils à donner aux entrepreneurs. D’abord de ne pas se lancer seul dans une aventure entrepreneuriale parce que c’est un point de fragilité énorme qui est difficile à vivre pour soi, pour son projet et qui inquiète les potentielles parties prenantes et notamment les investisseurs.
Ensuite, je crois qu’il faut toujours anticiper et impliquer l’ensemble des parties prenantes dans ses difficultés sans rester dans le déni.
Propos recueillis par Bastien de Breuvand