Mayday a rencontré Hugues Deloche, Président de la société Besacier, spécialisée dans la production de composants métalliques par découpage emboutissage. Alors que la société est aujourd’hui en forte croissance et en très bonne santé financière, nous sommes revenus avec son dirigeant sur son opération de retournement. Histoire incroyable d’un jeune homme de 26 ans qui prend les rênes d’une entreprise en grande difficulté et retrouve le chemin de la rentabilité en quelques mois. Fort de son succès, il regagne la confiance des banques et sort par anticipation du plan de continuation en 2016, avec 4 ans d’avance. Fin 2016 Il décide de racheter Besacier à ses actionnaires et peut se targuer aujourd’hui de donner une nouvelle vie à cette PME industrielle rhônalpine de plus de 70 ans.
Mayday : Pourriez-vous revenir sur les circonstances un peu particulières de votre arrivée chez Besacier ?
Hugues Deloche : Besacier est une entreprise industrielle dynamique comme une start-up ! Nous avons dépassé 6 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017 et sommes en route pour dépasser 10 millions d’euros d’ici 3 ans. Nous prévoyons 22 embauches nettes sur la durée de notre feuille de route stratégique. Pour autant, lorsque je suis arrivé dans cette maison, la situation était très différente. En 2011/2012, Besacier avait subi un double effet : l’envolée des prix des matières premières et l’érosion de l’activité mondiale. La société était en plan de continuation depuis 2010 et n’était plus en mesure de payer les échéances du plan.
« Lorsque je suis arrivé, j’ai fait le choix intuitif de la décroissance rentable »
Mayday : Quelles furent vos premières décisions ?
HD : J’ai pris la décision de ne plus perdre d’argent. Pour cela, il faut s’assurer que la ligne du haut du compte du résultat, c’est-à-dire la marge brute, corresponde aux métriques du métier. Ensuite, il faut travailler chaque ligne du compte de résultat industriel : les coûts d’énergie, de transports, l’optimisation des achats et la productivité. Il faut donc travailler à ce qu’il y ait une bonne organisation du travail, de bonnes compétences et les augmenter par la formation s’il le faut.
Partant de là, vous avez une bonne entreprise industrielle aux coûts variables optimisés. Ensuite, il faut travailler à réduire les coûts fixes. Il n s’agit pas d’être pingre mais d’apprendre à être maigre. C’est le principe du lean management, traduction japonaise du modèle de production Toyota pour lequel on ne peut se permettre aucun gaspillage, car le gaspillage aboutit à se léser soi-même ou à léser ses clients.
Lorsque je suis arrivé, j’ai fait le choix intuitif de la décroissance rentable. Un point clé à mes yeux a consisté à ne pas construire un business plan de retournement fondé sur des chimères que seraient de nouveaux projets de développement. Il faut consolider les projets en cours et gérer une stabilité voire une décroissance, avec pour premier objectif de rendre rentable cette décroissance en baissant le point mort. Le retournement est trop risqué par le haut, mais plus serein par le bas. La course au chiffre d’affaires se fera toujours au mépris de la marge. Il faut donc rechercher de la rentabilité, davantage que du chiffre d’affaires. La croissance, c’est le bonus. Et se garder un bonus dans la tempête est toujours nécessaire.
Nous avons été rentable dès les trois premiers mois d’activité. Il aurait été incohérent, dans une entreprise en difficulté, de construire un business plan avec de la perte au démarrage. L’entreprise n’ayant plus démontré ses capacités de rentabilité depuis plusieurs années, elle doit faire ses preuves immédiatement. De plus, une entreprise qui consomme de la trésorerie fait prendre de mauvaises décisions à ses dirigeants qui se focalisent sur le court terme et la trésorerie, au détriment du long terme et du développement pérenne de l’entreprise.
Être rentable à court terme, sans compromettre les décisions d’investissement de long terme, aboutit à la conclusion suivante : une entreprise en difficulté ne peut être rachetée que par des personnes qui ont les moyens d’investir. Il faut injecter de l’argent frais en abondance pour se donner la sérénité nécessaire aux bonnes décisions. Un luxe nécessaire !
Mayday : Une entreprise en difficulté est-elle finalement plus chère qu’une entreprise in bonis ou qu’une création d’entreprise ?
HD : Une entreprise industrielle en difficulté dispose de trois actifs : elle a du matériel, des clients et du personnel qui détient un savoir-faire. La compétitivité de chacun de ces actifs est à comparer avec le standard du marché sous-jacent.
Si la compétitivité des trois est bonne, alors vous pouvez bénéficier d’un fort effet de levier par rapport à la création d’une activité ex nihilo.
Ensuite, lorsqu’un investisseur investit dans une entreprise in bonis, il achète une rentabilité future. Si cette rentabilité n’existe plus, alors l’entreprise aura été surpayée. Comme dans une entreprise en difficulté vous ne basez pas votre valorisation sur une rentabilité qui n’existe plus, l’argent que vous réinvestissez est essentiellement un placement pour assurer votre besoin en fond de roulement, davantage qu’un prix.
Cependant, s’agissant de l’acquisition d’une entreprise en difficulté, la mobilisation des capitaux nécessaires au rachat de l’entreprise est plus onéreuse, car ce sont des capitaux propres, par nature plus chers.
« Comme en amour, il faut des preuves, certaines symboliques, d’autres fortes et immédiates. Il faut des victoires tout de suite, petites et grandes »
Mayday : Comment retrouve-t-on la confiance perdue des parties prenantes ?
HD : Il faut se rappeler qu’une entreprise en difficulté est une entreprise qui a perdu la confiance de ses parties prenantes : les salariés, les clients, les fournisseurs, les banques et les actionnaires. S’il manque la confiance de l’une de ses parties prenantes c’est compliqué, s’il en manque deux ce n’est pas possible.
Une entreprise redressée est donc une entreprise qui a rétabli cette confiance perdue dans une nécessaire course contre la montre puisque la confiance se gagne avec le temps, un temps dont l’entreprise en difficulté manque cruellement. En effet, non seulement la trésorerie se consomme, mais en plus la concurrence continue de croître. Le défi est donc immense.
Comme en amour, il faut des preuves, certaines symboliques, d’autres fortes et immédiates. Il faut des victoires tout de suite, petites et grandes. Notre première grande victoire a été de rétablir une confiance de très court terme avec nos fournisseurs, sur 15 jours, pour relancer la supply chain et approvisionner nos clients. Or, relancer un outil industriel est très complexe, car l’industrie a un avantage et un inconvénient, c’est son inertie. L’inertie permet de tenir les mauvaises années et d’encaisser les coups, mais à l’inverse, c’est toujours plus long à relancer.
S’agissant des salariés, le seul fait de l’ouverture d’une procédure collective crée de la défiance et de la tension. En plus, parfois certains postes sont supprimés : bureau d’étude, etc. Il faut faire très attention à cela, car la gestion de crise sur le court terme, ne doit pas compromettre le long terme.
En ce qui me concerne, les salariés m’ont accordé une confiance extraordinaire et presque illégitime, car à 26 ans je n’avais pas d’expérience particulière et encore moins dans l’industrie.
La partie la plus technique du métier reste l’apanage de mes collaborateurs qui étaient, sont et resteront meilleurs que moi. L’entreprise avait besoin de quelqu’un qui écrive une stratégie gagnante et puisse la mettre en œuvre. C’est précisément mon rôle et ce sur quoi les salariés m’ont accordé leur confiance.
Le regard des salariés a d’ailleurs changé lorsque j’ai racheté l’entreprise. Le dirigeant actionnaire a une légitimité supplémentaire que n’a pas le manager. Le dirigeant actionnaire est embarqué dans sa plénitude et sa sincérité dans l’aventure de l’entreprise qui devient la sienne. Les destins se lient. Le dirigeant manager est un « super intérimaire ». Il peut faire de très bonnes choses, mais n’a pas le même surcroit de légitimité.
Il faut noter que le frein principal de la croissance de Besacier reste la difficulté de trouver de la main d’œuvre qualifiée. L’univers industriel en général et de la mécanique en particulier a été mal vu pendant les 20 dernières années dans les écoles, alors qu’il y a une demande criante et des métiers passionnants.
S’agissant des clients, il ne faut pas oublier que dans une PME le premier des commerciaux, c’est le patron. Il doit aller voir ses clients et être présent quand il y a un problème. Si un patron de PME ne fait pas ça, il faut qu’il change de métier. Lorsque j’ai repris Besacier, je n’avais pas le temps d’aller à leur rencontre. Je devais tenir pour acquis l’aval de chacune des parties prenantes, alors que je n’avais l’aval d’aucune. Ça a fonctionné, car j’ai bénéficié de la bienveillance de mes principaux clients qui ont une philosophie industrielle extraordinaire.
Mayday : A partir de quand Besacier fait le choix de renouer avec la croissance ?
HD : C’est en 2017. Nous avions rétabli pleinement la confiance de nos parties prenantes et bénéficions d’un environnement global macro-économique favorable aux nouveaux projets. On a donc pu prendre le train de la croissance au bon moment. Le timing a été parfait. Il y a, il faut le reconnaitre, une part de chance dans ce timing.
Nous avons lancé mi-2017 un plan d’investissement supérieur au montant cumulé des investissements des 15 dernières années. Nous bénéficions du soutien de la Région Auvergne-Rhône-Alpes à cet effet.
Mayday : L’industriel est-il toujours le mieux placé pour réussir une opération de retournement ?
HD : Etre un industriel du métier est toujours un atout pour réussir une opération de retournement d’une entreprise de son secteur, cela vous apporte une plus grande crédibilité et une plus grande vitesse d’analyse sur les points clés de réussite ou d’échec d’une entreprise.
Cependant, je pense que le retournement a quelques règles communes, quel que soit le secteur, qui permettent de réussir une opération sans nécessairement être du métier.
« Il faut s’assurer que l’entreprise dispose de quelque chose de différenciant »
Mayday : Quels sont les points clés d’une reprise ?
HD : Le premier point est de connaitre le chiffre d’affaires minimum qui est garanti sur les 3 prochaines années. Pour cela, il faut s’assurer de sa récurrence et s’assurer que l’entreprise dispose de quelque chose de différenciant.
Besacier, par exemple, jouit d’une notoriété décorrélée de sa taille, à la fois nationale et internationale. L’entreprise se distingue par sa capacité à réaliser des pièces très complexes en série notamment par le procédé du découpage fin.
Il faut que l’entreprise ait une présence légitime sur le marché et que le repreneur soit en capacité de ramener la confiance perdue. Il faut aussi s’assurer qu’il y ait un personnel de qualité, car c’est lui qui va emmener l’entreprise vers le succès et c’est encore lui qui connait le mieux l’entreprise. Dans l’idéal il faudrait interviewer tous les salariés, car ils vous aident à découvrir ce qui ne se perçoit pas par la seule analyse des documents mis à la disposition du repreneur de l’entreprise.
Mayday : Vous sentez plus entrepreneur ou repreneur ?
HD : Aujourd’hui je suis entrepreneur, car je m’inscris dans la durée. On est en train d’écrire une page formidable avec les salariés de Besacier, peut-être la plus belle de son histoire …
Pour en savoir plus sur Besacier : http://www.besacier-decoupage.com/
Propos recueillis par Cyprien de Girval et Bastien de Breuvand